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Décès de Maureen Breau: et maintenant, on fait quoi?

Maintenant que la sergente Maureen Breau a été portée à son dernier repos, que peut-on faire pour que son décès n'ait pas été en vain?

CHRONIQUE / S’il y a bien une pensée qui a été véhiculée partout depuis le décès de la policière Maureen Breau, le 27 mars dernier à Louiseville lors d’une intervention auprès d’un homme ayant des troubles de santé mentale, c’est bien que le décès de la policière ne doit pas avoir été en vain. Maintenant que Maureen a été portée dignement à son dernier repos, que peut-on faire pour que cette idée ne s’évanouisse pas comme tant d’autres? Que peut-on réellement faire, et rapidement, pour que la sécurité du public autant que celle des policiers soit assurée dans notre société?


Depuis le 27 mars dernier, je n’ai cessé de recevoir les confidences, les frustrations, les états d’âme de bon nombre de policières et policiers à travers le Québec qui ne peuvent s’exprimer sur la place publique, qui n’en ont pas l’autorisation, mais qui souhaitent que leur voix soit portée. Pour Maureen, oui, mais aussi pour la suite des choses, pour tous ceux qui continuent de servir chaque jour, en ne sachant jamais vraiment ce qui les attend à la prochaine intervention.

La policière Maureen Breau a été portée à son dernier repos jeudi, à Trois-Rivières.

Ces policières et ces policiers, ils en ont assez de ne pas avoir les réponses à des questions pourtant tellement élémentaires lorsque vient le temps d’intervenir auprès d’une personne violente ou ayant des troubles de santé mentale. Une réalité ironiquement encadrée par les lois et la Charte des droits et libertés, limitant la divulgation des informations entre le système de santé, de justice et les corps policiers. Une réalité qui fait en sorte que tout le monde travaille en silo, avance chacun de son côté et croise les doigts chaque jour pour que ça ne se passe pas trop mal.

Le 27 mars dernier, ce voeu pieux n’a pas été exaucé. Isaac Brouillard Lessard, ayant à cinq reprises été reconnu non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux d’actes violents, avait été remis en liberté une énième fois par la Commission d’examen des troubles mentaux, qui reconnaissait pourtant qu’il représentait un risque important pour la société, mais que ce risque pouvait être contrôlé avec un suivi adéquat.

Visiblement, ce «suivi adéquat» a échoué, et la policière Breau en a payé de sa vie.

Au bas de l'escalier du logement où la policière a été assassinée, des gerbes de fleurs avaient été déposées au lendemain du drame.

Il y aura déclenchement d’une enquête publique, présidée par la coroner Géhane Kamel. Cette dernière n’est pas reconnue pour faire dans la dentelle. Lorsqu’elle questionne, elle questionne! Et lorsqu’elle émet des recommandations, elle n’a pas peur d’appuyer fort sur le crayon. On a particulièrement hâte d’entendre les explications sur les processus entourant les différents jugements rendus dans le dossier d’Isaac Brouillard Lessard, notamment ce jugement du Tribunal administratif du Québec du 22 janvier 2021, où devant des faits pourtant très troublants, quatre juges acceptaient de le remettre en liberté sous conditions, sous les recommandations du psychiatre Marc Tannous. On y relatait des faits où l’accusé avait commis des voies de fait et menaces de mort à l’endroit d’une psychiatre. Il l’avait tenue à la gorge en lui frappant la tête à trois ou quatre reprises, en plus de l’avoir plaquée au mur avec un bureau renversé, avant de menacer à plusieurs reprises de l’étrangler.

Entendons-nous bien: si la Commission a permis sa remise en liberté, c’est que les balises entourant ces décisions dictaient de le faire. La Commission ne peut pas non plus être tenue à elle seule responsable du fait qu’un suivi ait été fait ou non. Mais justement, l’ensemble de l’oeuvre n’est-il pas à revoir?

Et avant tout, avons-nous vraiment besoin d’attendre les conclusions d’une enquête publique pour nous mettre tout de suite en action afin d’améliorer ce que tous ces policiers dénoncent déjà?

Jacques Painchaud, président de l'APPQ.

C’est d’ailleurs le but de la pétition lancée cette semaine par l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec, qui vise à mettre en place des mesures visant à encadrer les personnes potentiellement violentes dont l’état mental est perturbé. Parrainée par le député de Maskinongé Simon Allaire, cette pétition est devenue vendredi la pétition ayant, et de loin, récolté le plus de signatures sur le site de l’Assemblée nationale du Québec, avec plus de 9000 signatures en fin d’après-midi.

Comme quoi il n’y a pas que les policiers qui souhaitent du changement...

Des actions visant à mieux encadrer ces personnes, elles peuvent déjà être posées, bien avant qu’on obtienne les conclusions de la coroner Géhane Kamel, conclusions qui seront tout aussi attendues et qui ne devront pas être tablettées, précisons-le.

Quelles devraient être ces actions? Certainement faudra-t-il regarder l’ensemble des critères qui régissent la remise en liberté des personnes jugées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux, ou encore se questionner sur les droits et devoirs de chacun dans l’encadrement de ces personnes, en ayant en tête à la fois la pénurie de main-d’oeuvre qui n’épargne pas le milieu médical, mais aussi et toujours l’importance de faire prévaloir la sécurité du public sur les droits des individus.

À ce sujet, il est aussi plus que temps qu’on se questionne sur cette façon de procéder qui cultive davantage la culture de la confidentialité du dossier médical des patients, spécialement ceux atteints de troubles mentaux ou ayant démontré des signes clairs de violence. À travers le processus, chacun des intervenants se retrouve un peu les mains liées par le secret professionnel, qui ne peut être outrepassé que si l’on a des motifs raisonnables de croire que le patient représente un danger «immédiat» pour sa vie ou celle d’une autre personne.

Mais c’est quoi, un danger «immédiat»? Une telle définition pourrait-elle être plus subjective? D’ailleurs, quand il est question de troubles mentaux, n’est-il pas établi qu’une personne peut, à un moment, se trouver dans de bonnes dispositions, et que cet état soit complètement chamboulé quelques heures plus tard? À travers les risques que l’individu peut représenter pour la société et la crainte des intervenants d’enfreindre un code déontologique pour lequel ils pourraient être sanctionnés, il y a de quoi en perdre son latin.

Le président de l’APPQ, Jacques Painchaud, le disait en marge des funérailles de Maureen Breau: des événements qui impliquent des cas de santé mentale où des policiers doivent intervenir auprès de personnes troublées et potentiellement dangereuses, il s’en vit au quotidien partout au Québec. Tous les policiers peuvent en témoigner. Heureusement, ça ne se termine pas toujours comme cette intervention du 27 mars à Louiseville. Mais le danger est toujours présent. Et ceux qui y répondent auraient aussi le droit de savoir qu’on y veille, qu’on ne laisse pas aller les choses.

Ce serait là l’une des façons d’honorer dignement la mémoire de Maureen Breau. Que son départ, aussi tragique et révoltant, ait au moins servi à mieux protéger la société, ses collègues au premier rang.

Des milliers de policiers de partout en Amérique du Nord ont rendu hommage à la sergente Breau en défilant dans les rues du secteur Cap-de-la-Madeleine, jeudi.

Au-delà de ces réformes que l’on espère, il ne faudrait pas non plus se surprendre de voir pousser, au cours des prochaines années, des hommages rendus à la policière ici et là.

À Louiseville, me confiait le maire Yvon Deshaies vendredi, on a déjà commencé à discuter de nommer quelque chose en sa mémoire. Un projet très embryonnaire, soit, mais qui germe dans l’esprit du conseil municipal. «On en a discuté. Je ne pourrais pas encore vous dire quelle forme ça prendra, mais moi j’aimerais bien qu’on puisse le faire», a souligné le premier magistrat.

À Trois-Rivières aussi, il faudrait qu’une demande soit faite au comité de toponymie pour qu’on puisse nommer une artère, un parc, un petit coin de la ville au nom de la policière qui est née et a vécu ici. Pourquoi pas un parc ou une rue du secteur Sainte-Marthe, où elle a grandi? Le conseiller municipal Pierre-Luc Fortin, président du comité de toponymie, indique que si une telle demande était reçue, elle serait évidemment bien accueillie et étudiée, toujours en respectant un délai d’un an après le décès d’une personne pour lui rendre un tel hommage.

Un endroit où son nom vivrait pour rappeler qu’un soir de mars 2023, une femme lumineuse et vivante qui croyait plus que tout au service public et en la justice a payé de sa vie pour protéger ses concitoyens. Ce serait là un geste symbolique que celui de graver son nom ailleurs que simplement sur le drapeau des policiers morts en service dans l’histoire de la Sûreté du Québec.