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Des appels au 911 perdus

Des syndicats dénoncent la situation due à un changement de système informatique de prise d’appels

Des patrouilleurs se retrouvent parfois seuls au monde, sans répon­se au bout du fil.
Des patrouilleurs se retrouvent parfois seuls au monde, sans répon­se au bout du fil. Photo d’archives


Une centaine d’appels d’urgence placés chaque jour à la Sûreté du Québec restent sans réponse depuis l’installation d’un nouveau système de télécommunications.

Si la situation n’a pas engendré de drame jusqu’ici, ce n’est qu’une question de temps avant que cela se produise, selon le président de l’Association des policiers provinciaux, Pierre Veilleux. «On va en échapper, c’est clair.»

L’année dernière, la SQ a reçu 966 158 appels, ce qui représente plus de 2600 appels par jour.

Des policiers craignent pour leur vie parce que le nouveau système fait en sorte que les préposés ne sont plus aussi attentifs qu’avant sur les ondes radio, selon des préposés et des policiers. Un agent s’est même déjà retrouvé seul avec un chauffard agressif pendant 15 minutes parce que personne n’entendait son appel à l’aide sur les ondes.

«Avant, les préposés anticipaient les situations d’urgence. Ils étaient proactifs», illustre M. Veilleux.

Même s’il a été testé pendant 10 ans avant d’être implanté à l’automne 2014, le Système intégré de radiocommunications policières (SIRP) connaît d’importantes lacunes à travers les trois centres de gestion des appels (CGA) de la province dans lequel il a été implanté, selon le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ).

Le SFPQ représente les préposés aux télécommunications.

«La SQ a la chance collée au cul. Le jour où quelqu’un va mourir parce qu’on n’est pas fonctionnels, ce ne sera pas drôle», a confié un préposé qui préfère taire son identité.

«Cafouillis total»

Deux types d’appels d’urgence peuvent entrer dans un des 10 centres de gestion: les appels provenant du 911 et les appels des citoyens qui composent le *4141 sur leur téléphone mobile ou le 310-4141.

Or, avec l’arrivée du nouveau système, plus d’une centaine d’appels ne sont pas traités quotidiennement au Québec, selon la moyenne calculée par le syndicat. Avant l’arrivée du nouveau système, les préposés perdaient deux à trois appels par jour, dit le préposé.

Des patrouilleurs se retrouvent parfois seuls au monde, sans répon­se au bout du fil.
Pierre Veilleux, Président de l’APPQ Photo d'archives

«Maintenant, c’est vraiment de l’impro qu’on fait à chaque appel, estime-t-il. Ce sont des appels d’urgence, des cas de violence conjugale, d’agressions, etc., mais c’est le cafouillis total.»

L’ancienne façon de faire permettait aux préposés de se concentrer sur un secteur bien précis pendant leur quart de travail.

Ils recevaient uniquement les appels provenant d’une zone en particulier et ils assistaient et répartissaient les policiers de cette zone. Ils étaient donc en communication constante avec les agents.

Le SIRP fonctionne différemment. Les préposés sont maintenant appelés à répondre à toutes les lignes qui entrent dans une même région. Cette nouveauté fait en sorte que les préposés peuvent répartir des appels dans tous les secteurs.

Ainsi, des opérateurs sont parfois deux ou trois sur une même fréquence radio et c’est la «cacophonie».

Pendant ce temps, d’autres fréquences radio ne sont pas surveillées et des policiers sont laissés à eux-mêmes. Ces nombreux problèmes de communication ne manquent pas d’instaurer un climat de tension entre les préposés et les policiers.

«Des fois, la ligne coupe»

Qui plus est, un plus grand nombre de manœuvres sont nécessaires pour prendre un autre appel, puis retourner à l’appel initial, indique le préposé. Sachant qu’ils doivent parfois mettre une personne en détresse sur attente pendant de longues minutes, les préposés ont tendance à laisser sonner la ligne.

Enfin, plusieurs bogues du système ont été rapportés, indique Jean-François Sylvestre, président régional du SFPQ. «Des fois, la ligne coupe alors qu’un préposé est en train de traiter un appel», dit-il.

La Sûreté du Québec en bref

  • La SQ dessert plus de 1000 villes, municipalités et territoires au Québec...
  • ...répartis en 86 MRC
  • Dessert les autoroutes de la province
  • Territoire: 1 165 255 km2
  • 5761 policiers

Source: Rapport annuel de gestion 2014-2015 de la Sûreté du Québec

La SQ au courant d’un problème avec les appels

Des patrouilleurs se retrouvent parfois seuls au monde, sans répon­se au bout du fil.
Un nouveau système implanté au Centre de gestion des appels de la SQ entraîne des problèmes et des tensions au sein des policiers et des préposés. Photo d’archives

La direction de la SQ admet que des appels sont perdus, mais blâme plutôt les préposés.

«Il faut qu’ils organisent mieux leur travail entre eux», a indiqué la sergente Martine Asselin, porte-parole de la police provinciale. Le nouveau système technologique n’est pas responsable des problèmes qui suscitent la grogne des employés des centres d’appels et des policiers, a dit la porte-parole. La SQ croit que les erreurs proviennent directement de la façon dont les préposés travaillent. La réponse demeure la même quand on questionne la SQ sur les problèmes sur les ondes radio: la faute revient aux préposés.

La SQ n’a pas été en mesure de confirmer la moyenne d’appels perdus par jour calculée par le syndicat des préposés. Elle a toutefois indiqué que quotidiennement, 25 appels sont perdus après 10 secondes, sans toutefois pouvoir chiffrer ceux qui sont perdus avant 10 secondes et ceux perdus en raison des bogues du système.

En entrevue avec Le Journal mardi avant-midi, le ministre de la Sécurité publique suppléant Pierre Moreau a indiqué que contrairement à ce que les syndicats, les policiers et les préposés affirment, le nouveau système a amélioré la qualité des communications dans les Centres de gestion des appels de la SQ.

«Ce n’est pas l’information que j’ai, dit-il. Il n’y a pas eu d’augmentation des appels perdus. Il n’y a pas plus d’appels perdus en ce moment qu’il pouvait y en avoir avec l’ancien système.»

Pour justifier l’implantation du SIRP, le ministre a affirmé que l’ancien système était désuet et qu’il nécessitait une mise à jour.Finalement, il admet qu’il y a une certaine résistance de la part des employés face à l’implantation de cette nouvelle technologie, sans toutefois parler d’un mouvement concerté.

Pas de renfort pour un chauffard agressif

Une personne suicidaire aurait bien pu mourir, il y a quelques semaines, parce que les préposés avaient de la difficulté à la repérer. En plus d’un nouveau système qui connaît des ratés, la charge de travail des employés de certains centres d’appel a augmenté. C’est notamment le cas à la centrale basée à Mascouche.

Depuis quelques mois, tous les appels de la centrale de l’Outaouais leur sont transférés pendant la nuit. Les préposés de Mascouche ne connaissent pas du tout le territoire de l’Outaouais. Ils peuvent parfois perdre de précieuses minu­tes à chercher une rue ou un secteur.

Contrairement au 911, le CGA ne reçoit pas la position géographique des appelants au *4141. Un homme a contacté le service d’urgence il y a environ trois semaines pour avoir de l’aide. Il disait être au Lac-des-Loups, en Outaouais, mais comme l’endroit a été fusionné avec une autre ville, le préposé n’arrivait pas à le trouver dans le système pour y envoyer les policiers.

«Ça a pris 1 h 10 avant que l’employé le localise, a indiqué Jean-François Sylvestre, du syndicat. L’homme en détresse s’est tiré dessus trois fois pendant ce temps-là, mais il s’est manqué parce que la détente ne marchait pas.»

Seul au monde pendant une poursuite

L’écoute partielle des ondes de police par les préposés ouvre la porte à de nombreux problèmes. Par exemple, si un policier enclenche une poursuite, celle-ci se fait fréquemment à haute vites­se. Il est donc impératif de réduire sa durée au minimum. «Si j’ai un policier qui part en poursuite à Saint-Lin–Laurentides et qui s’en va vers le sud, je dois ouvrir une ligne d’urgence pour avertir les sergents des corps de police de Terrebonne et de Mascouche, par exemple, pour qu’ils puissent arrêter le gars rapidement, comme avec un tapis à clous», explique un préposé. Or, si l’employé n’écoutait pas les ondes à ce moment-là parce qu’il était occupé sur une autre fréquence, le policier continuera de rouler à haute vitesse pendant plusieurs kilomè­tres sans recevoir de renfort.

Un vrai coup de chance

Un policier de la SQ craint pour sa vie lorsqu’il travaille depuis le jour où il a dû hurler sur les ondes pour avoir de l’assistance lors d’une intervention avec un chauffard. Le patrouilleur a reçu un appel l’été dernier pour aller arrêter un conducteur ivre. Quand il l’a intercepté, il était sur le territoire de Blainville, où il y a un service de police local. Malgré ses demandes au centre de gestion d’appels pour avoir du renfort sur les lieux, personne ne lui a répondu. «Je criais sur les ondes, dit-il. Je voulais du back-up, mais aussi le retour de la plaque pour savoir à qui j’avais affaire.» Le policier a été seul avec l’homme pendant 15 minutes avant que d’autres agents arrivent enfin. «Il était extrêmement agressif et très baraqué, je filais pas gros dans mes shorts.»

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