Chronique|

Elle rêvait de devenir policière...

La sergente Maureen Breau est décédée, lundi soir, lors d'une intervention à Louiseville.

CHRONIQUE / C’était le rêve de sa vie. Même toute petite, Maureen Breau avait toujours voulu devenir policière. Au primaire, quand elle jouait avec ses amies dans la cour de son école, c’était à la police. Adolescente, dans son Sainte-Marthe-du-Cap natal, elle n’a jamais dérogé de son idée. Diplômée de la 226e promotion de l’École nationale de police du Québec en octobre 2000, Maureen avait son métier tatoué sur le coeur. Elle le faisait avec passion, et pour les bonnes raisons.


Lundi soir, tout ça a abruptement et violemment pris fin au second étage d’un immeuble de l’avenue Saint-Laurent de Louiseville. La fin d’une carrière de rêve, oui, mais surtout la fin de la vie d’une conjointe, d’une maman de deux enfants, d’une amie, d’une soeur, d’une collègue de travail. La vie de cette femme toujours enjouée et positive, cette femme que des collègues décrivent comme ayant toujours envie d’en faire un peu plus pour le bien-être de tout le monde, celle qui avait à coeur de servir, de protéger la société et le public. C’était son idéal, c’était ce qu’elle faisait avec passion à tous les jours. Elle était policière, et elle en était fière.

Lundi soir, Maureen ne devait pas travailler. Elle avait accepté de faire du temps supplémentaire. Probablement un de ses derniers TS sur la patrouille, puisqu’elle allait être promue aux enquêtes d’ici quelques jours. Après plus de 20 ans sur le terrain, elle quittait la voiture de police pour faire son entrée au Bureau régional des enquêtes. Avant de se lancer dans ce beau défi, elle devait partir, d’ici quelques semaines, pour un congé différé qu’elle allait prendre avec son conjoint et ses enfants. Un congé pour profiter de la vie...

Son chemin a croisé celui d’Isaac Brouillard-Lessard, 35 ans. Un individu déclaré maintes fois non criminellement responsable d’actes violents pour cause de troubles mentaux, et maintes fois remis en liberté sous conditions. Un individu qui représentait toujours, en raison de son état mental, «un risque important pour la sécurité du public», avait conclu la Commission d’examen des troubles mentaux en février 2022, acceptant tout de même de le remettre en liberté, puisque selon elle, ce risque était «adéquatement contrôlé si la libération est assujettie à un suivi et un encadrement appropriés».

J’écris ces lignes, et j’enrage!

J’enrage, parce qu’un événement comme celui de lundi soir n’aurait jamais dû se produire. Parce que l’individu était sur le radar du système de santé et de justice. Parce que malgré bien des voyants lumineux, on n’a pas pu empêcher deux vies d’être fauchées sur ce coin de rue louisevillois, laissant des traces indélébiles dans le coeur et la tête de tant de personnes qui devront maintenant apprendre à vivre avec l’absence et les questions sans fin.

Lorsqu’on rêve de faire son entrée dans la police, ce n’est jamais dans l’espoir de faire feu sur qui que ce soit. C’est parce qu’on croit à la justice, à l’ordre public, qu’on veut aider les gens et faire sa part pour la société. C’est parce qu’on voit dans ce métier une mission bien plus grande que le danger qu’elle pourrait représenter. Et oui, l’expérience sur le terrain nous apprendra très vite que le danger existe, mais que la formation reçue nous a bien outillés pour y faire face. On entre au travail avec coeur et conviction, même si chaque jour en partant de la maison, on embrasse nos enfants sur le front un peu plus fort que la veille.

Mais voilà, la réalité est que sur le terrain, les policiers et policières sont trop souvent cette première ligne qui protège le public de ce qui a été délaissé par manque de ressources. Depuis de nombreuses années déjà, ils doivent faire face à une recrudescence des cas lourds de détresse, de santé mentale, d’agressivité, faire face à un processus de désinstitutionnalisation qui est, certes, motivé par une volonté publique d’assurer la réinsertion, mais qui se traduit bien souvent par un manque d’encadrement et de suivi des individus remis en liberté. Des individus qui, une fois à l’extérieur, se retrouvent de nouveau exposés à des réalités pouvant les remettre en situation de crise: la consommation d’alcool ou de stupéfiants, l’isolement, la pauvreté.

Il y a quelques jours, Isaac Brouillard-Lessard avait été admis à l’hôpital. Il a reçu son congé après que son état mental fut stabilisé. Pour Jacques Painchaud, président de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), il est plus que temps qu’on en vienne à un resserrement de l’évaluation de ces individus, ce qui est toujours repoussé par manque de ressources, d’espace ou de budget. «On remet l’individu dans la rue en se croisant les doigts pour que rien n’arrive», fait-il remarquer.

Oui, la formation a été améliorée dans les dernières années. Il y a eu maintes formations en désescalade auprès des corps policiers, pour intervenir auprès des individus instables ou en crise. Il y a eu l’introduction du pistolet à impulsion électrique, que l’APPQ soutient ne pas encore être suffisamment déployé pour être accessible à l’ensemble des policiers. Il y a eu des avancées technologiques dans les équipements de protection, comme des vestes pouvant résister aux armes blanches, mais ces équipements ont-ils été suffisamment rendus accessibles? Et bien que la formation se spécialise et s’améliore constamment, a-t-on les ressources nécessaires pour permettre à tous les agents d’y avoir accès sans créer un manque dans la couverture policière, se questionne l’APPQ.

Mardi, les collègues de la policière se faisaient avares de commentaires sur la place publique, ce qui est totalement compréhensible. Mais en privé, la tristesse d’avoir perdu une amie et une collègue se mêlait à la rage et la colère de voir que ce qu’on dénonce depuis tant d’années a fini par coûter la vie à l’une des leurs. Pas au fin fond des États-Unis. Ici même, sur un coin de rue de Louiseville.

«On les remet en liberté pour que nous, après, on aille mourir en allant les arrêter», me confie l’un d’eux, le trémolo dans la voix.

«Nous sommes le petit plaster sur une situation tellement plus grave. Il y a de sérieuses questions à se poser comme société sur la santé mentale et sur les ressources qu’on y met», confie un autre.

Et à travers cette colère et cette incompréhension, on relate tous ces autres événements qui, loin de l’oeil du public, ne se sont heureusement pas terminés par la mort de quelqu’un. Des menaces à la hache ici, l’utilisation nécessaire du pistolet à impulsion électrique pour maîtriser un individu là...

Et là commence un autre enjeu épuisant: le tribunal populaire. Celui qui est sans équivoque à l’endroit des policiers, celui qui conclut d’un seul commentaire sur les réseaux sociaux que devant un individu armé, dérangé, en mouvement et qui fonce sur un policier, il suffit de lui tirer dans le bras ou la jambe. Comme si chacun de ses gestes pouvait être prévisible. Comme si à l’intérieur d’une ou deux secondes, avec l’adrénaline au maximum et craignant pour sa propre vie, on pouvait dégainer et viser aussi précisément.

«Il y a de l’éducation sociale à faire. Si un individu représente un danger imminent, le policier a l’obligation d’agir pour le stopper. Or, trop souvent, nous sommes soumis à un jugement sommaire et sans procès», dénonce Jacques Painchaud.

Devant un événement comme celui de lundi, il ne faudrait pas se surprendre que plusieurs policiers et policières se remettent en question. La tristesse y est pour quelque chose, mais également le constat que devant la mission qu’ils ont à accomplir, la société ne leur donne pas toutes les ressources pour y parvenir. Et que devant la perte de l’une des leurs, il faudra bien que collectivement, on se réveille.

Maureen rêvait depuis toute petite de devenir policière. Si sa mort pouvait véritablement servir à changer les choses, ça n’aura peut-être pas été en vain...