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Policiers, policières: comment allez-vous?

Nombreux sont les organismes et intervenants qui sont à l’affût des indices de détresse psychologique chez les policiers.

CHRONIQUE / Les défis ne manquaient déjà pas pour les services d’urgence au Québec avant mars 2020. Mais la pandémie aurait-elle affecté davantage la santé psychologique des policiers et des policières au Québec? Comment ça va, les policiers?


Quand on pose la question à l’organisme La Vigile, on constate que les besoins ont fait un important bond, surtout depuis l’été 2020. La ressource, située à Québec, est dédiée spécialement aux métiers de l’urgence, autant les policiers que les paramédics, pompiers, agents correctionnels, répartiteurs 911, etc. Elle offre à la fois une ligne d’aide, du référencement, de la formation, mais également la possibilité de venir faire une retraite, notamment pour des problèmes liés à la dépression, l’anxiété, la détresse psychologique ou le syndrome post-traumatique.

Depuis le mois de juin et surtout depuis le second confinement, la Vigile note une augmentation de près de 50 % de la demande pour des retraites fermées pour les métiers de l’urgence. Sur la ligne d’aide et de référencement, on enregistre une hausse des appels de 30 %. Et on sait qu’annuellement, la majorité de ces demandes proviennent des policiers. En 2019, 62 % de la clientèle externe était policière, et 49 % des demandes pour les services de retraite provenaient de policiers.

«En raison de la pandémie, nous avons dû passer de 15 à 10 places pour les retraites. On affiche complet tous les jours depuis le second confinement. Et je pense que même si nous étions à 15 places, j’aurais de quoi remplir nos chambres tous les jours aussi, car nous avons constamment une liste d’attente d’au moins sept à huit personnes», résume Geneviève Arguin, directrice générale de La Vigile.

Ce qui frappe le plus? L’augmentation de l’anxiété, de la détresse psychologique, de la consommation d’alcool et de médicaments, mais aussi une plus grande irritabilité.

François Lemay, président de la FPMQ.

Au fond, les policiers, autant que tous les autres citoyens, subissent les contrecoups de la pandémie. Or, en plus de faire face au stress du confinement, des mesures sanitaires, de l’éloignement de la famille ou des amis, les policiers sont également confrontés quotidiennement à l’augmentation de cette détresse dans la population, mais se retrouvent aussi sur la première ligne pour l’application de décrets gouvernementaux qui ne sont pas toujours très populaires ces jours-ci.

«On le sent qu’il y a de la fatigue sur le terrain. C’est normal, c’est le cas pour toute la population. Mais il y a des confrères qui disent qu’ils auraient besoin d’un break, mais qui n’osent pas, qui se sentent coupables parce qu’au fond, notre travail c’est d’aider le monde. Pour certains, c’est difficile de concevoir qu’eux aussi peuvent avoir besoin d’aide», confie un policier de la Sûreté du Québec qui a préféré conserver l’anonymat.

Comité de travail

À la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ) de même qu’à l’Association des policiers et policières provinciaux du Québec (APPQ), on garde un oeil plus qu’attentif sur la situation, qui était déjà préoccupante avant la pandémie. Il faut dire qu’au cours des dernières années, le milieu policier a souvent été frappé par des cas de suicides. Seulement à la Sûreté du Québec, 17 policiers se sont enlevé la vie entre 2010 et 2018 au Québec, ce qui représenterait un taux deux à trois fois plus élevé que celui dans la population en général. Sachant bien que le suicide est généralement multifactoriel, les associations syndicales autant que les employeurs souhaitent mettre de l’avant des outils pour mieux intervenir auprès de leurs troupes.

D’un côté comme de l’autre, on a joint différents groupes de travail, dont la formation d’un comité paritaire en lien avec La vigile, l’École nationale de police du Québec et le ministère de la Sécurité publique pour travailler à trouver davantage de solutions afin de veiller au bien-être de ceux et celles qui veillent sur le reste de la population.

«Notre programme d’aide aux employés (PAE) à la SQ a essuyé beaucoup de critiques ces dernières années. On a présenté un sondage en ce sens avec le dépôt de notre mémoire pour le livre vert demandé par la ministre Guilbault. On veut une ressource spécialisée. Un programme d’aide générique peut faire pour n’importe quel employé, mais quand tu es dans les métiers de l’urgence, c’est différent. Tu vis avec la détresse humaine, et tu as beau te faire une carapace, un moment donné ça vient percer cette carapace-là. Or, le système est fait en fonction d’y aller avec le plus bas soumissionnaire conforme pour le programme d’aide. Notre programme peine à fournir des spécialistes en fonction des besoins», soutient Dominic Ricard, président de l’APPQ.

Dominic Ricard, président de l’APPQ.

La Sûreté du Québec a des ententes avec l’organisme La Vigile, ce qui fait que les policiers provinciaux y ont accès à partir de leur programme d’assurances. Or, l’APPQ souhaiterait que la Vigile devienne LA ressource dédiée comme PAE, puisque les policiers déboursent déjà pour un tel programme en plus de devoir débourser à travers leurs assurances collectives pour cette ressource spécialisée. On souhaite en outre qu’un financement récurrent de l’organisme assure sa survie et son développement.

Selon la sergente Mélanie Dumaresq, porte-parole de la SQ, le corps policier étudie la possibilité d’embaucher des ressources permanentes en psychologie pour l’ensemble de la province, un dossier qui chemine actuellement.

Du côté de la FPMQ, on note que le modèle mis en place au Service de police de la Ville de Montréal devrait faire école partout au Québec. Là, ils ont embauché cinq ressources permanentes en santé psychologique qui sont uniquement dédiées aux policiers du SPVM. Un système qui semble avoir fait ses preuves, puisqu’il a été copié par les services de police de Los Angeles et New York.

«C’est complètement un autre monde. Pourquoi vouloir inventer un modèle quand on a, au Québec, un modèle qui fonctionne bien? Copions-le! Je crois qu’il y aurait moyen, en embauchant plusieurs spécialistes qui formeraient un guichet unique pour l’ensemble des policiers au Québec, de faire quelque chose de bien. Ajouté aux services qui sont offerts par La Vigile, on viendrait garnir un panier d’offre de services», indique le président de la FPMQ, François Lemay.

Selon lui, il importe également qu’on parle autant du syndrome post-traumatique chez les policiers que du syndrome vicariant, c’est-à-dire le traumatisme causé par l’accumulation d’événements difficiles. C’est d’ailleurs pourquoi M. Lemay et la FPMQ militent pour inclure à cette offre de services les policiers retraités, qui peuvent continuer, même à la retraite, de vivre des contrecoups des événements vécus lors de leurs années de service.

Geneviève Arguin, directrice générale de la maison La Vigile.

Moral des troupes

À la Direction de la police de Trois-Rivières, on assure que malgré la pandémie, le moral des troupes se porte bien. Selon le directeur adjoint du service, Maxime Gagnon, le nombre de congés de maladie est demeuré stable cette année par rapport aux années précédentes, et la Ville de Trois-Rivières a aussi augmenté les ressources dédiées aux policiers à l’intérieur de son PAE, notamment une plus grande disponibilité de l’infirmière de la Ville.

«Les officiers ont été rencontrés et doivent quotidiennement prendre le pouls des policiers, s’assurer que les gens vont bien, qu’il n’y a pas de signe de détresse ou d’épuisement», indique M. Gagnon, qui rappelle aussi que 17 employés policiers et civils ont été formés par le Centre de prévention suicide-Accalmie pour agir comme Sentinelles dans l’équipe.

Au besoin, le PAE se déploie à l’intérieur des murs du poste de police, lors d’événements majeurs, un déploiement qui n’est cependant pas très fréquent. On a pu notamment le voir lors du triple meurtre de la rue Sicard, en 2014, ou encore plus récemment lorsqu’un suspect armé sur le point d’être arrêté a retourné son arme contre lui, dans le secteur Trois-Rivières-Ouest non loin de la SAAQ.

À la Sûreté du Québec, si l’on se fie au taux d’utilisation du PAE offert par la police provinciale, on constate que l’utilisation est plutôt stable depuis le début de la pandémie, avec 19,8 % en 2019 et 18,8 % en 2020, note la sergente Mélanie Dumaresq.

En plus des mesures habituellement en place à travers le PAE et le partenariat avec la Vigile, un comité Santé et prévention s’assure de communiquer avec les policiers en attente d’un résultat de test COVID ou qui ont été infectés par le virus pour vérifier que les gens vont bien sur le plan de la santé psychologique. Le programme Sentinelles est également déployé depuis 2019, de même qu’un programme de pairs-aidants. Un suivi psychologique est aussi obligatoire pour certains enquêteurs, notamment ceux affectés aux crimes entourant l’exploitation sexuelle des enfants.

Dans les rangs, on dit bien comprendre l’importance de l’application des décrets, même s’ils sont parfois impopulaires. «Personne ne rêve de devenir policier pour donner des contraventions de 1500 $ lors d’un couvre-feu. Mais on sait qu’on le fait en support au système de santé, pour freiner la contagion, pour qu’on s’en sorte tous ensemble le plus rapidement possible», considère le président de l’APPQ, Dominic Ricard.

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Les bouchées doubles à l'ENPQ

L’École nationale de police du Québec (ENPQ) a mis les bouchées doubles au cours des dernières années afin d’offrir un maximum de formations sur la prévention des impacts psychologiques. La demande est à ce point élevée pour recevoir les formations que l’école s’apprête à embaucher deux nouvelles ressources afin de venir épauler la psychologue de l’établissement, Josée Bergeron, qui a mis en place ces outils.

À travers la formation des aspirants policiers, diverses mesures sont prises pour évaluer les impacts psychologiques et faire de la rétroaction avec eux. Par ailleurs, lors de leur 13e semaine de formation, ils suivront un atelier sur les impacts du métier de policier. Des formations ont aussi été développées pour les cadres et superviseurs des corps policiers. Puis, on forme les policiers à être alertes aux réactions, au phénomène d’identification à la victime, à l’usure de compassion, de même qu’à démystifier le trouble du stress post-traumatique de celui du stress aigu.

Dans son mémoire présenté dans le cadre du livre vert, l’ENPQ milite entre autres pour former davantage de psychologues au Québec qui seraient spécialisés dans les métiers de l’urgence, histoire de pouvoir répondre adéquatement à la demande dès l’instant où quelqu’un lève la main pour recevoir de l’aide. «On a vu des cas où un psychologue n’était tout simplement pas capable d’entendre ce que le policier avait à raconter par rapport à une intervention difficile pour lui. Il faut des ressources qui sont bien au fait de la réalité policière», mentionne Josée Bergeron. Parce qu’on ne peut pas courir le risque que la personne se ferme à la demande d’aide lorsqu’elle n’est pas bien comprise dès la première fois.