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Suffisamment formés, les enquêteurs de la SQ?

Les enquêteurs de la Sûreté du Québec sont-ils tous suffisamment formés?

CHRONIQUE / Les enquêteurs qui oeuvrent dans les postes de la Sûreté du Québec dans la province sont-ils suffisamment formés? La question mérite d’être soulevée, alors que tout près des deux tiers des enquêteurs de postes à l’heure actuelle n’ont pas encore reçu l’ensemble de la formation requise par leur fonction, et qu’une partie d’entre eux attend depuis plus de deux ans et demi pour recevoir cette formation, ce qui contrevient au cadre réglementaire. L’École nationale de police du Québec de Nicolet met actuellement les bouchées doubles pour que les formations soient davantage disponibles sous peu, avec l’ouverture d’une antenne montréalaise.


Nommé il y a un peu plus d’un an comme enquêteur au poste de sa localité, Sébastien n’a toujours reçu aucune formation pour exercer le métier qu’il fait. Policier depuis plusieurs années à la Sûreté du Québec, il constate que chaque jour, il doit apprendre son travail sur le tas, et attend impatiemment cette formation donnée en deux volets à l’École nationale de police du Québec. Mais personne ne peut encore lui confirmer le moment où il la recevra.

«On finit quand même par bien se débrouiller, on s’autoforme avec nos collègues qui ont plus d’expérience. Mais il y a des techniques pour la collecte d’informations, des méthodes et on veut les apprendre. Mener une enquête, parfois ça peut être tellement vaste, et je veux avoir tous les outils pour ne pas passer à côté de quelque chose. J’ai récemment pu parler avec un autre collègue enquêteur au Québec. Dans son cas, il attend sa formation depuis plus de quatre ans», résume l’enquêteur qui a préféré ne pas dévoiler sa véritable identité pour éviter les représailles de son employeur.

Sébastien rappelle que de nouvelles escouades ont été formées dans les dernières années à la Sûreté du Québec, notamment l’escouade Centaure pour lutter contre la prolifération des armes à feu à Montréal, mais également des escouades pour la lutte au cannabis, la cybercriminalité, etc. «On a ouvert des postes pour ces escouades-là, et beaucoup d’enquêteurs de postes ont appliqué là-dessus. On a pris des patrouilleurs pour combler les places d’enquêteurs de postes, mais ça a vidé la patrouille. Présentement, il y a un manque incroyable et on le sent. On a l’impression de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Ça roule carré», considère l’enquêteur.

À l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), le syndicat qui représente les policiers et enquêteurs de la Sûreté du Québec, on est bien au fait de ces retards dans la formation des enquêteurs. On estime en effet qu’un peu plus du tiers seulement des enquêteurs au Québec ont à ce jour reçu la formation adéquate en deux volets, soit une formation de neuf semaines à l’ÉNPQ de Nicolet. Or, le cadre réglementaire du ministère indique que les corps policiers disposent de 30 mois à partir de la date de nomination de l’enquêteur pour qu’il suive sa formation. Ainsi, des quelque deux tiers restants des enquêteurs de postes de la SQ n’ayant pas été formés, 20% d’entre eux sont à l’extérieur de ce cadre réglementaire, 20% qui attendent depuis plus de 30 mois.

«C’est une situation préoccupante pour nous», affirme d’emblée Jacques Painchaud, président de l’APPQ. Ce dernier rappelle d’ailleurs que son organisation a récemment fait des représentations en Commission parlementaire à ce sujet lors de l’étude du Projet de loi 14, qui vise à moderniser la pratique policière.

Qu’est-ce qui a causé ce retard important dans la formation des enquêteurs? Assurément, la pandémie n’a pas aidé, alors que l’offre de formations à l’ÉNPQ a été arrêtée pendant une bonne période de temps, mais également le manque d’effectifs qui ne permettrait pas de dégager complètement le personnel pour qu’il puisse prendre le temps d’aller suivre les formations.

Depuis la pandémie, il y a eu du rattrapage, mais pas suffisamment pour former l’ensemble des enquêteurs à l’intérieur du cadre réglementaire. En attendant, des mesures sont mises en place à l’interne afin de s’assurer que les enquêteurs non formés bénéficient de mentorat avec des collègues formés et expérimentés, et une supervision est assurée, dit-on.

Jacques Painchaud ne croit pas qu’à ce jour, ce retard se soit soldé par un ou des dossiers d’enquêtes qui auraient été bâclés en raison du manque de formation, mais estime quand même que cette formation permettra aux enquêteurs d’être plus performants. «Il faut aider nos policiers et nos enquêteurs à performer et à faire leur travail de façon optimale. Ça ne sert à rien de s’exposer à des risques inutiles, parce que ce sont les victimes qui en seraient perdantes. Il faut que tous les moyens soient mis en place pour que le cadre réglementaire soir respecté», martèle Jacques Painchaud.

L'ÉNPQ doublera bientôt sa capacité d'accueil pour ses formations, avec l'ouverture d'une antenne montréalaise.

À l’École nationale de police du Québec à Nicolet, on indique que la cadence des formations était bonne avant la pandémie, alors qu’on a formé 83 enquêteurs en 2017-2018, 143 en 2018-2019 et 171 en 2019-2020. Par contre, la pandémie a eu un impact important avec la fermeture complète de l’école pendant plusieurs mois, et des reprises graduelles avec des soubresauts causés par le variant Omicron. Depuis quelques mois, les activités ont repris à 100%. «Mais est-ce qu’on répond à 100% des demandes? La réponse est non», reconnaît Véronique Brunet, responsable du bureau du registraire et des communications à l’ÉNPQ.

Or, il y a de l’espoir à l’horizon. L’ÉNPQ planche pour développer une antenne de l’école dans la région de Montréal, et sera en mesure de doubler sa capacité d’accueil des policiers et enquêteurs à former. Le bâtiment a été choisi, des ententes ont été conclues avec la Ville de Montréal et on s’affaire présentement à aménager les locaux, qui devraient recevoir leurs premiers étudiants au printemps 2024.

«Au Québec, nous sommes la seule province où il existe une formation obligatoire pour devenir enquêteur, et nous voulons pouvoir donner cette formation pour que le niveau d’excellence soit le même partout dans la province, peu importe la région où l’enquêteur travaille», ajoute Véronique Brunet. Pour ce faire, l’ÉNPQ met à la disposition des corps policiers des plages horaires de formation, dont certaines sont exclusivement réservées à la Sûreté du Québec.

Or, l’ÉNPQ n’a pas de contrôle à savoir si ces plages horaires sont toutes utilisées ou non, et ne contrôle pas non plus la volonté des corps policiers de libérer leurs équipes de leurs obligations pour les envoyer se faire former. «Notre rôle est d’offrir les disponibilités de formation, et on travaille présentement à doubler cette offre avec notre nouvelle antenne montréalaise», résume Mme Brunet.

Malgré nos requêtes, la Sûreté du Québec n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.