Résumé de la décision de la Cour suprême du Canada dans Wood c. Schaeffer

 


Dans le cadre de l’arrêt Schaeffer, la Cour suprême du Canada a rendu le 19 décembre 2013 une décision sur le droit à l’avocat pour les policiers faisant l’objet d’une enquête par l’Union des enquêtes spéciales (ci-après «l’UES») de l’Ontario.

Les faits et procédures:

En résumé, lorsqu’un policier est impliqué dans une intervention policière causant la mort et/ou des blessures graves, celui-ci ne pourra plus consulter son avocat avant de rédiger ses notes personnelles. Ce n’est qu’une fois ses notes rédigées et soumises aux enquêteurs de l’UES que le policier pourra consulter son avocat.

Cette affaire fait référence à deux événements distincts survenus en 2009 au cours desquels deux citoyens, à la suite d’une intervention policière, furent tués par des policiers.

Les faits similaires reliés à ces deux incidents sont les suivants : les agents témoins et impliqués ont consulté un avocat avant de produire au dossier d’enquête leurs notes personnelles et aucune dénonciation n’a été déposée contre les agents impliqués.

Dans l’un des deux cas, le directeur de l’UES a conclu que l’agent « craignait raisonnablement une mort imminente ou des lésions corporelles graves […] et que la force létale utilisée n’était pas excessive dans les circonstances ». Et, dans l’autre cas, il s’est avéré impossible pour le directeur de l’UES de conclure « qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’agent avait commis une infraction criminelle ». Dans les deux cas, la Cour énonce que le directeur, au moment de rendre sa décision, s’est dit préoccupé eu égard précisément à la manière dont les agents avaient rédigé leurs notes.

Le juge Moldaver réfère, lorsque le directeur s’exprime à cet égard, au passage suivant :

« Ce processus de rédaction va à l’encontre des deux principaux indicateurs de fiabilité des notes: l’indépendance et la concomitance. Ces notes ne représentent pas un récit indépendant des faits essentiels. [… ] En conséquence, la seule version des événements dont je dispose est celle qui figure dans les notes approuvées par l’avocat de l’OPPA ».

Les familles de chacune des victimes avaient déposé une requête pour jugement déclaratoire dans laquelle était soulevée notamment la question de savoir « si le régime législatif permettait aux agents de consulter un avocat avant de rédiger leurs notes ». Cette demande fut radiée par la Cour supérieure pour des motifs d’ordre procédural. La Cour d’appel, ayant renversé la décision en première instance et jugé qu’elle pouvait elle-même trancher les questions soulevées dans la demande, a conclu comme suit :

« […] le fait pour l’agent d’obtenir les conseils d’un avocat au moment de rédiger ses notes [TRADUCTION] « serait inconciliable avec la raison d’être des notes et avec l’obligation qui est imposée aux policiers de les rédiger », surtout que tout conseil juridique serait [TRADUCTION] « axé sur l’intérêt personnel de l’agent ou de ses collègues plutôt que sur son devoir primordial envers le public» […]. Par conséquent, […] le par. 7(1) ne permettait pas aux policiers de recourir à l’aide d’un avocat pour rédiger leurs notes. […]. »

La question en litige:

La question qui était soumise à cette Cour était celle de savoir si, selon le régime législatif ontarien, « le policier qui est témoin d’un incident faisant l’objet d’une enquête de l’UES ou y est impliqué a le droit de parler à un avocat avant de rédiger ses notes à ce sujet ».

Analyse:

Suivant les motifs illustrés ci-dessous, la Cour a répondu par la négative.

Tout d’abord, soulignons que les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Droit à un avocat

7. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l’agent de police a le droit de consulter un avocat ou un représentant d’une association de policiers et a droit à la présence d’un avocat ou d’un représentant d’une telle association pendant son entrevue avec l’UES.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si, de l’avis du directeur de l’UES, le fait d’attendre un avocat ou un représentant d’une association de policiers retarderait l’enquête de façon déraisonnable.

[…]

Notes sur l’incident

9. (1) L’agent témoin rédige des notes complètes sur l’incident conformément à son obligation et, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 10, les fournit au chef de police au plus tard 24 heures après que l’UES en a fait la demande.

[…]

(3) L’agent impliqué rédige des notes complètes sur l’incident conformément à son obligation, mais aucun membre du corps de police ne doit en fournir des copies à la demande de l’UES.

[…]

Suivant l’étude de l’origine, de même que de la raison d’être de l’UES et surtout de l’adoption du règlement (dont l’interprétation est questionnée en l’espèce), le juge Moldaver, au nom de la majorité, s’est prononcé en ces termes sur le refus de donner au paragraphe 7(1) une interprétation faisant en sorte que soit conférer aux agents un droit autonome à la consultation d’un avocat à l’étape de la prise de notes :

  • « Premièrement, reconnaître un droit de consulter un avocat à l’étape de la prise de notes contrecarrerait l’objet principal du régime législatif, car l’exercice d’un tel droit risque de miner la confiance du public que l’UES était censée favoriser;

  • Deuxièmement, l’historique législatif démontre que le par. 7(1) n’était jamais censé créer un droit autonome à la consultation d’un avocat à l’étape de la rédaction des notes; et enfin,

  • Troisièmement, consulter un avocat à cette étape empêcherait les agents de police de rédiger des notes précises, détaillées et exhaustives conformément à leur obligation comme l’exige l’art. 9 du règlement. »

Relativement au premier point, la Cour a confirmé que le règlement vise à faciliter l’objectif de « maintenir la confiance du public à l’égard de la police et du système de justice dans son ensemble ». Il vise donc ainsi à assurer à l’UES la capacité de mener ses enquêtes de manière indépendante et transparente.

Quant à l’historique législatif, le juge Moldaver précise que dans aucun rapport (de ceux ayant mené à l’élaboration des dispositions ontarienne) il n’y a eu « mention d’un quelconque rôle pour l’avocat à l’étape de la prise de notes, encore moins une recommandation visant à permettre aux agents de recourir à l’assistance d’un avocat à cette étape ».

Relativement à la notion d’obligation, soulevée au troisième point ci-dessus, la Cour réfère au rapport soumis en 1993 par un comité constitué d’avocats et de policiers expérimentés dirigés par l’honorable G.A. Martin et souligne le passage suivant:

« L’obligation de rédiger des notes soignées en rapport avec une enquête constitue un aspect important de l’obligation générale de l’enquêteur de veiller à ce que ceux qui commettent des crimes soient tenus responsables. »

Toujours en rapport avec l’importance des notes, la Cour reprend les propos de l’honorable R.E. Salhany qui vont comme suit :

« […] Tout enquêteur compétent a le devoir et la responsabilité de rédiger des notes exactes, détaillées et exhaustives dès que possible après qu’un incident fait l’objet d’une enquête. »

Pareillement, et dans le même ordre d’idées, le juge Moldaver poursuit en ajoutant :

« Si les agents pouvaient obtenir des conseils juridiques avant de rédiger leurs notes, ils risqueraient de s’attacher à défendre leur intérêt personnel et à justifier leurs actes, au détriment de leur devoir public. […] »

À cet égard, la majorité s’entend pour dire que «tout citoyen raisonnable pourrait à juste titre se demander si l’agent recourrait à l’assistance d’un avocat à l’étape de la prise de notes pour l’aider à s’acquitter de ses obligations professionnelles ou s’il le ferait plutôt dans son intérêt personnel pour parer à la possibilité d’une conclusion accablante de la part de l’UES à l’issue de l’enquête ». Sur ce point, la dissidence partage le même avis (réf. par. 104 dans Schaeffer).

En terminant sur ce point, il est opportun de mentionner que la Cour a conclu que l’interdiction de consulter vaut tout autant pour un représentant syndical « dans la mesure où le représentant d’une association de policiers jouerait un rôle semblable à celui d’un avocat».

Discussions:

Bien que la discussion abordée dans l’affaire Schaeffer porte sur les «notes personnelles» d’un policier de l’Ontario, il est à prévoir que d’aucuns seront tentés au Québec d’appliquer le même principe, lorsqu’il s’agit du rapport d’évènement d’un policier impliqué, et ce, malgré le fait que la tradition au sein de notre communauté policière québécoise ne comporte pas de formaliste très rigoureux à l’effet de prendre des notes personnelles exhaustives immédiatement suivant un événement.

D’ailleurs, le ministère de la Sécurité publique (ci-après le MSP) a émis un communiqué le 27février dernier, nous livrant, sans aucune consultation, son orientation dans ce dossier dont voici un extrait:

«À cet effet, la Cour précise que les policiers ont l’obligation de rédiger des notes exactes et détaillées après l’évènement. Il ne saurait être acceptable qu’un rapport ou un rapport complémentaire soit produit par le policier avec l’assistance ou après consultation d’un avocat, car cette pratique est contraire aux principes d’indépendance du rapport du policier.

En conséquence, l’orientation du ministère de la Sécurité publique est à l’effet que tout rapport d’un policier produit à la suite d’un événement alors qu’il exerce ses fonctions doit, en toute circonstance, être rédigé à l’abri de toute influence externe. Il en va de la crédibilité et de la valeur probante de ce rapport ainsi que du respect des principes énoncés par la Cour suprême dans l’affaire Wood c. Schaeffer.»

Quoi qu’il en soit, des démarches seront entreprises auprès du MSP, afin de circonscrire davantage l’impact que pourrait avoir cet arrêt, ainsi que la directive du MSP, sur les pratiques en vigueur lors d’enquêtes indépendantes.

Nous vous rappelons qu’un règlement est justement en cours de rédaction à ce sujet, par le gouvernement québécois, et ce, depuis l’automne dernier. 

Il va de soi que nous informerons nos membres dès que nous serons au fait de développements ultérieurs concernant la procédure à suivre, le cas échéant.