L’arrêt McNeil: un dossier d’inconduite policière empêche-t-il un policier de participer à des enquêtes?
L’arrêt McNeil (1) est bien connu en matière de divulgation de la preuve en droit criminel, mais l’est moins au sujet de l’impact potentiel sur la carrière du policier quant à ses fonctions d’enquête. Cet article fait le point sur certains enjeux qui en découlent du point de vue d’un policier.
Rappel de l’arrêt McNeil
Déclaré coupable de plusieurs chefs en matière de stupéfiants, McNeil apprend que le principal témoin policier de l’État avait lui-même fait preuve d’inconduite relativement aux stupéfiants. Saisie de l’affaire, la Cour suprême décide que l’État doit divulguer les inconduites policières à la défense, et ce, à certaines conditions. Le corollaire de cette obligation de divulgation de l’État est l’obligation des corps policiers de communiquer au ministère public les renseignements sur toute inconduite liée à l’enquête sur l’accusé ou lorsqu’il est raisonnable de penser que celle-ci risque d’avoir des répercussions sur la poursuite.
Mettant en balance le droit à la vie privée et le droit à une défense pleine et entière, l’obligation de communication que partagent le ministère public et le corps policier en matière d’inconduites policières n’est toutefois pas automatique. Elle exige un triage, en amont de la divulgation, pour identifier les inconduites pertinentes.
Encadrement du ministère de la sécurité
Pour encadrer la communication des inconduites par les corps de police au procureur des poursuites criminelles et pénales (PPCP), le ministère de la Sécurité publique (MSP) a publié un document intitulé Procédure sur la transmission de renseignements concernant les inconduites policières entre les corps de police et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (2). Cette procédure du MSP prévoit que la notion d’inconduite comprend une accusation ou une déclaration de culpabilité à une infraction au Code criminel et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Cela comprend aussi une accusation, incluant une citation déontologique ou disciplinaire, ou une déclaration de culpabilité à une infraction aux autres lois fédérales ou provinciales, tel que le Code de la sécurité routière, ainsi qu’au Code de déontologie des policiers du Québec et aux règlements en matière disciplinaire concernant un corps de police. Ainsi, un policier simplement enquêté, mais non accusé ou cité ne sera pas visé par la procédure de divulgation selon l’encadrement du ministère public.
Par ailleurs, il est à noter que seules certaines infractions au Code de la sécurité routière répondent à la notion d’inconduite, telle que par exemple l’infraction de délit de fuite (3). La notion d’inconduite exclut toutefois les situations où le policier a reçu un pardon prévu dans une loi, tel qu’une excuse déontologique (4) ou une radiation disciplinaire5, la suspension de son casier judiciaire ou une autre mesure équivalente prévue dans une loi6.
Cela dit, le MSP prévoit que l’inconduite du policier devra être communiquée au PPCP dans deux cas : (1) si elle est liée à l’enquête de l’accusé ou (2) lorsqu’il est raisonnable de penser que l’inconduite risque d’avoir des répercussions sur la poursuite engagée contre l’accusé parce qu’elle peut raisonnablement mettre en cause l’honnêteté ou l’intégrité du policier7 . Mais, il y a plus. L’inconduite n’a à être divulguée au PPCP que dans la mesure où le policier impliqué a joué un rôle « autre que périphérique » dans l’enquête de l’accusé (8).
Les rôles suivants sont notamment considérés comme étant « autre que périphérique » dans une enquête : « enquêteur responsable du dossier, policier ayant recueilli la déclaration d’un suspect ou des principaux témoins à charge, affiant d’un affidavit à l’appui d’une demande d’ordonnance ou d’autorisation judiciaire, responsable de pièces à conviction, contrôleur d’un agent civil d’infiltration, agent d’infiltration, expert et, de façon générale, témoin d’un fait important ou de la découverte d’un élément de preuve particulièrement incriminant, tout policier que le PPCP aura décidé d’assigner comme témoin (9) ». Dans ces cas, une recherche et analyse d’inconduite sera effectuée dans le dossier du policier pour déterminer si l’inconduite doit être communiquée au PPCP.
L'impact de McNeil sur les fonctions du policier
En raison des préoccupations évidentes que pose l’arrêt McNeil en matière de crédibilité, les corps policiers peuvent vouloir bloquer l’accès à des fonctions d’enquête à leurs membres qui ont des antécédents ou des causes pendantes en déontologie ou en discipline. Dans un tel cas, le policier pourra, selon les circonstances et les mécanismes légaux applicables ou les procédures prévues à sa convention collective, contester cette décision au motif qu’elle est déraisonnable, abusive ou arbitraire ou encore, contraire à la convention collective. 2 Disponible au lien suivant : ici.
L’arbitre de griefs a décidé que l’employeur était injustifié de refuser sa demande de mutation à la Division des enquêtes criminelles (D.E.C.) en raison de préoccupations de type McNeil. L’inconduite disciplinaire en cause était la contrefaçon et l’utilisation de faux laissez-passer de stationnement pour lequel le policier avait été suspendu pendant 30 jours. L’arbitre a considéré l’inconduite du policier comme une légère transgression dans sa carrière et conclut que le défaut de l’employeur de tenir compte de sa réhabilitation était un exercice déraisonnable des droits de gestion11, d’autant plus qu’à titre de patrouilleur le policier avait continué de témoigner de temps à autre à la Cour sans que sa crédibilité ne soit remise en doute. Dans ce contexte, l’arbitre lui a reconnu le droit d’être transféré à la D.E.C.
Au Québec, un arbitre de griefs a confirmé le droit d’un policier d’occuper le poste de chef d’équipe par intérim à la Division des enquêtes régionales, et ce, malgré un antécédent disciplinaire du policier en matière de fraude. La justification de l’arbitre est à l’effet que, contrairement à la prétention de l’employeur, le poste de chef d’équipe, en tenant compte des tâches précises de cette fonction, est un poste périphérique ne rendant pas le policier susceptible de témoigner sur un fait important, un élément particulièrement incriminant ou pour toute autre raison dans un procès criminel. Dans ce cas, la preuve présentée à l’arbitre révélait « (…) qu’il était peu probable que le […] [chef d’équipe] ait à témoigner dans une affaire, le risque ne dépassant pas celui inhérent au statut de policier (12) ».
Ainsi, même s’il s’agit d’assurer l’intégrité de leurs enquêtes et prévenir l’échec d’un procès criminel, la décision d’un corps policier de soustraire un policier à des fonctions d’enquête en raison des préoccupations liées à l’arrêt McNeil n’échappera pas dans toutes circonstances à une contestation légale. Chaque cas étant d’espèce, l’ensemble des facteurs pertinents à l’arrêt McNeil et prévus à la procédure du ministère de la Sécurité publique devront être considérés par les corps policiers pour déterminer si un policier ayant une inconduite à son dossier peut effectuer des fonctions d’enquête sans pour autant risquer de compromettre une poursuite criminelle.
Puisque la divulgation des inconduites policières à la défense n’est pas automatique, les deux éléments les plus déterminants seront la nature même de l’inconduite et la qualification des tâches du policier, à savoir si celles-ci sont plus que périphériques dans l’enquête.