Une nouvelle formation à la SQ pour agir auprès d’une personne en état de crise
En 2020 la Sûreté du Québec a reçu près de 21 770 appels de cas en lien avec des troubles mentaux et de la détresse suicidaire. Soulignons qu’une personne sur trois au Canada éprouvera des problèmes de santé mentale au cours de sa vie. Au Québec, ça serait 20 pour cent de la population, avec 80 pour cent des gens qui en subissent des impacts collatéraux.
Afin d’aider les policiers à intervenir sécuritairement tout en optimisant la communication avec une approche policière adaptée pour ce type d’appels, la Sûreté du Québec a développé un nouveau programme de formation intitulé Réponse à un état mental perturbé (REMP). Il s’agit d’une formation créée pour aider les policiers à intervenir auprès de personnes en état de crise émotionnelle pouvant souffrir notamment de phobie, de maladie bipolaire, de schizophrénie, du trouble de la personnalité et de la dépression. Pour en savoir davantage sur cette formation, j’ai rencontré les intervenants ayant développé ce nouveau programme à la Sûreté du Québec.
La responsable du programme, Mme Marie Pintal, est cadre civile à la Sûreté du Québec depuis plus de 20 ans. Elle est actuellement chef du Service du développement de l’organisation et des personnes à la Sûreté du Québec. Elle explique ainsi le contexte ayant mené à développer une nouvelle formation de ce type : « On a toujours essayé de voir à l’avance les problématiques qu’on va devoir adresser avec une réponse de formation. Notons qu’au fil des années, plusieurs rapports de coroners ont questionné les méthodes des policiers, plusieurs sorties médiatiques interpellent aussi les pratiques policières. » L’ajout de nouveaux outils pour la police répond à un besoin de la société. Selon Marie, « Les interventions en présence de personnes qui présentent un état mental perturbé nous imposent de déployer des outils pour mieux intervenir, par exemple l’arme à impulsion électrique en relation avec les recommandations du rapport du coroner Malouin dans l’affaire Magloire. »
La formation est aussi un passage obligé, un virage s’impose pour ce type d’intervention, croit Marie : « En plus de l’ajout d’une arme intermédiaire et de l’arme de support, il fallait faire une réflexion sur la formation et développer une nouvelle approche qui recouvre à la fois les assises légales et les divers principes des opérations policières existantes. » L’organisation a utilisé ses ressources internes pour le développement de cette formation. Elle précise que : « Pour ce faire, deux policiers instructeurs en emploi de la force, Nicolas Jobin et Dominique Éthier ont élaboré une formation adaptée en réponse à une personne mentalement perturbée et le contenu de ce cours fut présenté à l’état-major de la Sûreté du Québec en début d’année et approuvé.
Très fiers de cette nouvelle approche, la diffusion de cette formation est en cours auprès de nos policiers et fut communiquée également à tous nos partenaires. Cette formation présente un virage très important dans la façon de voir les opérations policières. Notamment dans le délai d’intervention plus long que par le passé parce qu’on change la façon de les approcher et de communiquer. Je suis convaincu que cette formation va sauver des vies et des carrières policières. » Les deux instructeurs en emploi de la force ayant développé cette nouvelle formation nous font aussi part de leurs impressions sur cette formation. Nicolas Jobin, policier à la SQ depuis 17 ans, est instructeur en emploi de la force depuis les 12 dernières années.
Concernant la préparation, il mentionne que « Le développement de cette formation a duré environ 8 mois, ce fut un travail d’équipe avec tous nos instructeurs dans la province et le support de personnes civiles au sein du département de la formation spécialistes en développement de contenu pédagogique2. » Dominique Éthier, policier à la SQ depuis plus de 20 ans, est instructeur en emploi de la force depuis 12 ans. Il ajoute à propos de cette nouvelle formation : « Je pense qu’on est rendu ailleurs, dans notre façon de voir et faire les interventions policières, puis selon nos recherches et l’expérience qu’on a acquise avec les années, on a été capable d’amener une formation adaptée aux besoins de la réalité des policiers et de la société d’aujourd’hui. » 2 Concepteurs du cours : Dominique Éthier et Nicolas Jobin, agents instructeurs en emploi de la force, Division des techniques d’intervention policière — Sûreté du Québec. Virginie Chila et Caroline Tremblay, conseillères en formation, équipe au soutien des apprentissages, Service du développement de l’organisation et des personnes — Sûreté du Québec.
En voulant préciser ce que l’on veut dire en parlant d’état mental perturbé, Nicolas dit : « Ça englobe les gens qui ont des troubles de santé mentale, mais aussi des personnes qui peuvent se retrouver en état de crise dans une partie de leur vie. Ça peut être un divorce, ça peut être un décès, ça peut être une séparation. C’est dans ces moments-là que les gens sont vulnérables et qu’ils peuvent vivre un état de crise temporaire. » Cette formation comporte essentiellement l’objectif d’intervenir plus efficacement sous un stress intense. Dominique précise que « REMP est une formation qui développe la capacité à travailler efficacement sous un stress intense. En accord avec les principales recommandations du coroner, M. Luc Malouin, les policiers doivent agir différemment, calmement et en gagnant du temps, en établissant un contact. » Le contenu de la formation est divisé en trois blocs. « Une formation en ligne qui a pour objectif de reconnaître les signes et symptômes, ensuite on explique comment adapter notre communication avec un nouveau schéma de la communication pour finalement terminer avec la mise à jour des connaissances sur les assises légales dans le cadre de ce type d’intervention. On retrouve également la création d’un outil d’aide à la décision.
Cette formation en ligne est suivie d’une formation pratique de deux jours avec des activités de simulation. » Cette formation favorise une prise de conscience auprès des policiers en formation. Dominique dit : « Il y a une prise de conscience de la situation actuelle pour appliquer une nouvelle approche sécuritaire de l’intervention. Appliquer les stratégies de communication et les outils de gestion du stress, le tout intégré par des ateliers pratiques basés sur des mises en situation réalistes. L’urgence d’agir doit être déclenchée par la situation et non par l’intervention policière. » Il ajoute que « REMP favorise le travail en partenariat avec les services d’aide en situation de crise.
Cela a pour effet de réduire les interventions possibles avec l’utilisation de la force, favoriser un dénouement pacifique, sauver des vies. Une formation qui apporte un changement adapté à la réalité. Une organisation qui répond aux besoins des policiers, orientée vers l’avenir de l’intervention policière. » Afin d’expliquer les raisons d’une nouvelle approche pour ce type d’intervention, Nicolas déclare que : « Notre constat est qu’il y a une confrontation qui est souvent enclenchée par notre approche policière traditionnelle. La personne qui est en état mental perturbé ne collabore généralement pas avec les instances, les policiers ou les médecins, on sait qu’il y a fort risque de confrontation.
Donc, on devait repenser comment on va intervenir, tout en gardant notre mission première qui est de protéger la vie, de nous protéger la vie, de protéger. » Dominique précise que « Myriam Leblanc, psychiatre de L’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel est venue nous vulgariser qu’une crise, peu importe qu’on soit dans un contexte policier, dans un contexte à Pinel, c’est exactement la même chose. Dès l’apparition de l’autorité, la personne en crise va être réfractaire à l’autorité.
Donc, on a intégré dans notre formation sur la désescalade son approche en communication avec une personne en crise. » Il ajoute que : « Ce n’est pas juste au niveau de la communication qu’il faut changer nos façons de faire, c’est au niveau de toute notre manière d’approcher, le volet santé mentale et le volet interventions stratégiques pouvant par la suite s’insérer dans tous les types d’interventions policières au Québec. » Une particularité de cette formation est son contenu avec une complexité progressive dans les scénarios comme l’explique Nicolas : « Au niveau pédagogique, avec des scénarios progressifs en partant de simple à complexe, je pense qu’on est arrivé avec une bonne formule permettant de l’appliquer sur le terrain. C’est vraiment intéressant pour eux puisqu’on constate depuis le début de l’implantation de bons résultats au niveau de la compréhension puis de l’application du nouveau matériel dans leur façon de travailler. »
Pour mieux comprendre l’intervention stratégique planifiée, Dominique explique que cela permet de « bien analyser l’urgence d’agir, de mieux gérer le stress et d’appliquer un plan d’intervention adapté à son environnement permettant d’assurer la sécurité de tout le monde. » Nicolas ajoute en conclusion « qu’avec une intervention stratégique planifiée, il y a moins de stress, on se pose les bonnes questions dans l’action, on communique plus adéquatement et l’intervention en équipe facilite un dénouement plus pacifique de l’intervention policière. » Rappelons que l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec soutient cette initiative en formation comme on peut le voir dans le mémoire déposé lors de l’exercice de consultation du ministère de la Sécurité publique sur le livre vert sur la réalité policière.
Le président de l’Association, Dominic Ricard déclare : « Nous avons consulté nos membres au niveau de ce type d’intervention, ceux-ci déclarent manquer de formations valables pour procéder à leurs interventions et une de nos recommandations sur ce point fut qu’une formation spécifique et complète soit diffusée dans un délai raisonnable à l’ensemble des patrouilleurs, concernant les interventions auprès des personnes dont l’état mental est perturbé. » Il précise : « que la responsabilité criminelle du policier lors d’intervention de plus en plus complexe crée une énorme pression sur les policiers. Il est impératif que le ministère de la Sécurité publique prenne les mesures nécessaires pour donner suite à la situation! » Plusieurs autres recommandations dans le mémoire de l’APPQ3 ont été émises sur l’amélioration des ressources humaines, des équipements et du soutien psychologique pour soutenir les policières et policiers afin qu’ils puissent accomplir leur mission.