Qu’est-ce qu’une Commission d’enquête

La Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et les différents services publics au Québec (ci-après désignée la « CERP ») débutait, le 11 juin 2018, sa vingt-cinquième (25e) semaine d’audience. À titre de représentant de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (ci-après désignée « APPQ ») et des membres qu’elle représente, j’ai pu participer à la majorité des journées d’audiences, particulièrement à l’égard des témoignages pouvant avoir une incidence sur nos membres ou sur le domaine policier en général.

Rappelons que la CERP a été créée à la suite de la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales de ne porter aucune accusation dans le cadre de la Phase I des enquêtes découlant de ce qu’on appelle dorénavant les « événements de Val-d’Or »1. En date de la rédaction du présent article, 439 témoins ont été entendus aux audiences de la CERP.

Au-delà du caractère politique de la création de la CERP, le présent texte porte sur le cadre juridique général des commissions d’enquête créées en vertu de la Loi provinciale2.

I. - Qu'est-ce qu'une commission d'enquête?

Au Québec, la Loi sur les commissions d’enquête3 (ci-après la « LCE ») prévoit que le gouvernement peut nommer un ou plusieurs commissaires afin, notamment, de faire enquête sur quelque objet qui a trait au bon gouvernement, sur l’administration de la justice ou toute matière importante se rattachant au bien-être de la population4.

De manière sommaire, les commissions d’enquête visent, premièrement, la recherche de faits de la manière la plus transparente possible5 et deuxièmement, « l’élaboration de recommandations de nature politique visant à améliorer [ou corriger] une situation »6. Ces recommandations n’ont normalement pas de caractère contraignant7 d’où le scepticisme de certains sur l’utilité réelle de ces commissions d’enquête8.

Comme nous le verrons ci-après, cette enquête ou cette recherche de faits « doit se faire dans les limites du mandat que lui a confié le gouvernement et en respectant les règles de l’équité procédurale. »9

En effet, chaque commission d’enquête a un mandat précis à remplir. Elle tire d’ailleurs la compétence de ce mandat qui limite (ou plutôt encadre) les pouvoirs très étendus conférés au commissaire chargé de présider l’enquête.

Une commission d’enquête « ne constitue [donc] ni un procès pénal, ni une action civile pour l’appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l’égard de dommages. Il s’agit plutôt d’une enquête sur un point, un événement ou une série d’événements. »10

II. - Les pouvoirs d'une commission d'enquête

L’article 7 de la LCE prévoit que les commissaires détiennent « tous les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure ». Ainsi, sous réserve notamment des limites imposées par leur mandat respectif et de l’équité procédurale11, les pouvoirs conférés aux commissaires sont très larges.

Ces derniers peuvent donc décider de toute question relative à l’accomplissement de leur mandat. À titre d’exemple, un commissaire peut contraindre toute personne à témoigner s’il l’estime approprié.

À cet égard, en principe, nul ne peut refuser de témoigner au motif que sa réponse pourrait l’incriminer ou l’exposer à des poursuites12. Pourvu toutefois que le témoignage soit utile à l’accomplissement du mandat de la commission d’enquête.

III. - Les procédures

Les règles régissant le déroulement des travaux des commissions d’enquête sont généralement établies par des règles de procédure adoptées par les commissions d’enquête elles-mêmes.

Cette manière de procéder, qui n’est pas prévue à la LCE, permet que « la recherche de faits se fasse de façon ordonnée et que les droits de ceux visés par l’enquête soient respectés »13.

Les pouvoirs accordés aux commissaires par la LCE accordent à ceux-ci une « large discrétion dans l’élaboration de ces règles »14. Pourvu toutefois qu’elles respectent les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

Ces règles peuvent couvrir plusieurs sujets, à savoir :

  • La transmission préalable de documents aux parties;
  • Les règles relatives à la gestion des interrogatoires et/ou des objections;
  • Les moyens procéduraux relatifs à la présentation de demandes ou de requêtes;
  • Etc.

IV. - Les droits des parties et l'équité procédurale

Comme il est mentionné précédemment, l’exercice du mandat d’une commission d’enquête est limité par les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Dans le cadre de la Commission Charbonneau, l’honorable Claudine Roy, siégeant à la Cour supérieure mentionnait15 :

[18] Les commissions d’enquête doivent respecter les règles d’équité procédurale. Leurs rôles d’enquête et d’éducation ne doivent pas être remplis aux dépens du respect des droits de personnes risquant d’être affectées par celles-ci […].

Une commission d’enquête a également le devoir de respecter les droits fondamentaux des personnes pouvant être affectés par la preuve présentée devant elle. C’est ainsi que la Cour supérieure décidait que « Plus la « décision » – comprendre ici le « rapport » – est important[e] pour la vie de la personne et risque d’avoir des répercussions sérieuses, plus l’obligation d’équité procédurale est rigoureuse »16.

Chaque situation doit toutefois être analysée à la pièce, en gardant à l’esprit l’importance des commissions d’enquête dans la « recherche de la vérité ». Le pouvoir décisionnel discrétionnaire des commissaires demeure donc très étendu.

En vertu de ce pouvoir, le commissaire peut, à titre d’exemples :

  • Émettre des ordonnances de non-publication ou de huis clos;
  • Limiter ou encadrer un contre-interrogatoire;
  • Exiger tout document en possession de tiers qu’il considère comme pertinent dans l’exécution de son mandat;
  • Etc.

En résumé, il importe de mentionner que les commissions d’enquête obéissent à des règles très particulières et il est dangereux de les comparer aux tribunaux judiciaires. Par ailleurs, même si les pouvoirs des commissions d’enquête sont très larges, ils sont encadrés et limités par plusieurs principes et droits fondamentaux qu’elles doivent impérativement respecter.

En terminant, vous n’êtes pas sans savoir que la fonction policière est de plus en plus épiée et surtout critiquée par la société. Il est donc pratiquement inévitable que, dans les prochaines années, de nouvelles commissions d’enquête voient le jour sur différents sujets policiers. Les principes édictés précédemment n’étant que généraux, il sera intéressant d’analyser le traitement particulier de chacune d’entre elles.

Texte : Me David Coderre
Source image : shutterstock
1. La CERP a été mise sur pied le 21 décembre 2016 par le décret numéro 1095-2016. Les « événements de Val-d’Or font référence aux événements qui ont découlé du premier reportage de l’émission Enquêtes, diffusée le 22 octobre 2015 à Radio-Canada dans lequel plusieurs femmes autochtones alléguaient certains abus policiers de la part d’agents de la Sûreté du Québec. Les enquêtes qui ont suivi ont été menées par le SPVM, accompagné d’une observatrice civile indépendante. La phase II de ces enquêtes est toujours en cours.
2. RLRQ, chap. C-37.
3. Id.
4. lb, art.1.
5. Association des policiers provinciaux du Québec c. Poitras, 1997 CanLII 10813 (QC CA).
6. Dominic ROUSSEAU, Les commissions d’enquête : nature, mandat et limites constitutionnelles dans Conférence des juristes de l’État (13e: 1998 : Québec, Québec), Éd. Yvon Blais, Cowansville, Québec, p. 153.
7. Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 RCS 440, 1997 CanLII 323 (CSC).
8. Jean DAUDELIN, Le déroulement des commissions d’enquête, dans Actes de la XIIIe Conférence des juristes de l’État, Cowansville, Éd. Y. Blais, 1998, p. 195-220., p. 196
9. lb, p.200
10. Préc. note 6.
11. Point IV. du présent texte.
12. À cet égard, toutefois, l’article 11 de la LCE offre une protection aux témoins en prévoyant que « nulle réponse donnée par une personne ainsi entendue comme témoin ne peut être invoquée contre elle dans une poursuite en vertu d’une loi, sauf le cas de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. »
13. Jean DAUDELIN, Le déroulement des commissions d’enquête, préc. note 7, p. 210.
14. Id.
15. Beaulieu c. Charbonneau, 2013 QCCS 4629 (CanLII).
16. Ib., par. 26.