ACTUALITÉS

Le droit à la liberté d’expression d’un syndicat policier

Les faits

Pour bien situer le contexte, précisons que Mme Fortier, élue présidente de la Fraternité le 15 octobre 2020, est entrée en fonction le 1er novembre 2020. Quelques jours après son élection, Mme Fortier avait fait une sortie médiatique dénonçant les ratées de deux nouveaux systèmes, soit celui de radiocommunication ainsi que celui de répartition des appels; systèmes nouvellement acquis par la Ville de Québec.

Par la suite, la Ville de Québec avait reproché à la présidente Fortier d’avoir fait une déclaration à des journalistes par laquelle elle aurait communiqué des informations confidentielles, mais à l’audience sur l’ordonnance de sauvegarde, l’avocat de la Ville reconnaissait que les informations alors partagées par la présidente Fortier n’étaient pas de nature tactique, opérationnelle ou stratégique pour le Service de police.

Enfin, le 31 mai 2021, la Fraternité, par l’entremise de sa présidente, avait écrit à deux conseillers municipaux afin d’aborder le contexte d’une intervention policière qui s’était déroulée le 28 mai précédent et au cours de laquelle des débordements de foule étaient survenus. La Fraternité voulait dénoncer l’effectif policier insuffisant malgré une demande pour augmenter la présence policière ce soir-là.

La lettre faisait état de la diminution du nombre de véhicules de patrouille découlant de la réorganisation du Service de police ayant eu pour effet de réduire la couverture policière du territoire. Elle exposait les craintes des membres de la Fraternité relativement à leur sécurité.

Copie de cette lettre avait également été transmise au maire ainsi qu’au directeur général de la Ville et publiée sur la page Facebook des membres de la Fraternité.

Le 4 juin, la Ville de Québec réagissait en déposant les demandes d’injonction ci-haut mentionnées contre la Fraternité et sa présidente, alléguant que les informations transmises au cours des trois événements précédents constituaient des informations de nature opérationnelle, tactique et stratégique en lien avec les opérations de patrouille policière en général, notamment pour avoir divulgué des données sensibles concernant l’intervention policière du 28 mai précédent.

Dans un premier temps, la Ville, alléguant l’urgence, recherchait donc une ordonnance de sauvegarde, de sorte que la procédure, signifiée le vendredi 4 juin, ait été présentable le lundi suivant en Cour supérieure.

La Fraternité et sa présidente se sont donc présentés à la Cour le 7 juin et ont fortement contesté le caractère d’urgence à l’origine de la demande d’une ordonnance de sauvegarde. Cette contestation a été accueillie par jugement le 14 juin 2021, la Cour refusant d’émettre l’ordonnance de sauvegarde recherchée.

Le débat a amené la Fraternité des policiers et policières de Montréal inc., la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec et l’Union des municipalités du Québec à intervenir au dossier alors que la Ville de Montréal souhaitait également participer à ce débat.

Passant outre au débat sur l’injonction interlocutoire, les parties ont procédé directement sur la demande pour l’obtention d’une injonction permanente.

À cette étape, la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec et sa présidente, Mme Fortier, ont déposé une requête plaidant que tant la législation applicable en droit du travail que la convention collective qui régit les parties et la jurisprudence sont à l’effet que l’arbitre des relations de travail a la compétence exclusive pour décider de la demande de la Ville et non la Cour supérieure.

Le 18 mars 2022, la Cour supérieure accueillait le moyen soulevé par la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec et de sa présidente et déclinait compétence pour prononcer une ordonnance d’injonction permanente.

Parallèlement à sa procédure déposée en Cour supérieure, la Ville, le 30 juin 2021, transmettait à la présidente Fortier un avis qu’une enquête interne de nature disciplinaire était en cours en lien avec l’écrit du 31 mai précédent.

Réagissant à cet avis d’enquête visant directement la présidente Martine Fortier, celle-ci déposa une plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail auprès du Tribunal administratif du travail.

Pour la Fraternité et sa présidente Fortier, il s’agissait d’une mesure de représailles pour laquelle on recherchait l’annulation. Après plusieurs jours d’audition, la cause a été prise en délibéré.

Par ailleurs, en réaction au jugement de la Cour supérieure qui déclinait compétence, tel que l’avait plaidé la Fraternité, la Ville, le 20 mai 2022, déposait un grief patronal contre la Fraternité et également contre sa présidente, Martine Fortier.

Dans les conclusions recherchées, la Ville demandait qu’il soit déclaré que par les gestes reprochés, la Fraternité et sa présidente avaient contrevenu, entre autres, au Règlement sur la discipline des membres du Service de police de la Ville de Québec.

La Ville demandait également que soit ordonné « à la Fraternité, à ses représentants et à Mme Fortier, de ne pas divulguer, verbalement ou par écrit, à quelque personne que ce soit, sauf si elles y sont autorisées par écrit par le chef de police, des informations de nature tactique, opérationnelle et/ou stratégique du Service de police de la Ville de Québec ».

Le 9 juin 2022, le Tribunal administratif du travail accueillait la plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail, déposée par la présidente, Martine Fortier.

Réitérant le droit syndical à la liberté d’expression, le Tribunal a conclu que ce droit « ne peut être amoindri par l’obligation de confidentialité et le devoir de discrétion auquel sont assujettis les policiers dans l’exercice de leurs fonctions. En cela, la présidente de la Fraternité ne peut être traitée de la même manière que le serait une policière dans l’exercice de ses fonctions. »

Rappelant que la liberté d’expression n’est pas sans limite, et que la jurisprudence ne cautionne pas les excès, le Tribunal, dans le contexte de la présente affaire, a constaté que c’est en raison de ses activités syndicales que la Ville a remis un avis d’enquête disciplinaire à la présidente Fortier et qu’il s’agissait donc d’une mesure de représailles contraire à l’article 15 du Code. Le Tribunal a donc annulé l’avis d’enquête de nature disciplinaire du 30 juin 2021.

Le 11 juillet 2022, la Ville de Québec déposait une demande en contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal administratif du travail. Le débat se poursuit.

 Like

Poursuite civile: les agents de la paix sont-ils à l’abri?

L'action pour poursuite abusive

La responsabilité des agents de la paix dans le cadre d'une action pour poursuite abusive

 Like

L’arrêt McNeil: un dossier d’inconduite policière empêche-t-il un policier de participer à des enquêtes?

Rappel de l’arrêt McNeil

Encadrement du ministère de la sécurité

L'impact de McNeil sur les fonctions du policier

 Like

Une nouvelle formation à la SQ pour agir auprès d’une personne en état de crise

 Like

L’infraction de conduite dangereuse et l’impact d’une faute contributive des usagers de la route

L'infraction de conduite dangereuse et l'impact d'une faute contributive des usagers de la route revue CRDP

Récents amendements législatifs importants

Depuis le 25 novembre 2019, plusieurs amendements législatifs au Code de la sécurité routière sont entrés en vigueur. Ces amendements ont modifié les conséquences d’une condamnation à l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies ou avec un taux d’alcoolémie illégal sur la validité du permis de conduire.

Depuis cette date, un individu qui commet une seconde infraction liée à la conduite avec les facultés affaiblies dans une période de référence de 10 ans se verra imposer l’appareil antidémarreur éthylométrique à vie. Il ne pourra tenter de demander la levée de cette obligation qu’après l’écoulement d’une période de 10 ans, et ce, uniquement s’il remplit diverses conditions. Au surplus, le 18 décembre 2018, les dispositions du Code criminel concernant les crimes commis au moyen d’un véhicule à moteur ont été substantiellement modifiées.

L’un des changements notables est la modification de certains actes criminels en infractions hybrides, lesquelles peuvent donc désormais être poursuivies par voie sommaire. C’est le cas des infractions de conduite dangereuse et de conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles.

Ces changements sont importants pour les agents de la paix, dans la mesure où une condamnation à l’une de ces infractions n’entraîne plus la destitution automatique en vertu de la Loi sur la police.

 Like

L’enregistrement d’une intervention à l’aide du cellulaire personnel: avantage ou inconvénient?

1. Enjeux relatifs aux droits fondamentaux des individus

2. Les risques de sanctions administratives et/ou disciplinaires

3. Les enjeux de droit criminel ou pénal

Conclusion

 Like

Une image vaut mille mots? Intervention policière et caméras portatives

Les mécanismes psychologiques et cognitifs derrière l'interprétation de l'image.

Les images de caméras portatives: que sait-on et que doit-on savoir?

Conclusion

Les chercheurs Lee Ross et Andrew Ward ont qualifié de « réalisme naïf » la croyance que nos sens nous permettent de voir le monde tel qu’il est réellement. Bien que le recours de plus en plus fréquent aux technologies visuelles comme les caméras portatives nous permette aujourd’hui d’avoir accès à une quantité imposante d’information, la prudence est de mise, car nos sens ne sont pas infaillibles. La recherche scientifique continuera sans doute à nous en apprendre davantage sur l’influence des images sur notre compréhension de l’intervention policière.

En ce qui concerne les caméras portatives, les chercheurs devront certainement continuer d’évaluer quels sont leurs impacts sur le déroulement du processus judiciaire, mais aussi l’impact de la médiatisation des images sur la légitimité de la police.

 Like

L'obligation de divulgation du double emploi suivant la Loi sur la police

Le ministère de la Sécurité publique a récemment émis des lignes directrices en lien avec l’interprétation à donner aux articles 116.1 et 118 de la Loi sur la police’ (ci-après « LP »)

Ces lignes directrices visent également à apporter des précisions sur l’obligation prévue à l’article 118 LP pour tout policier qui occupe un autre emploi, charge ou fonction ou qui bénéficie d’un autre revenu provenant d’un bien ou d’une entreprise, doit, sans délai, en divulguer la nature à son directeur et l’aviser de toute autre situation potentiellement incompatible dans laquelle il se trouve.

Elles prévoient enfin une procédure et des critères d’analyse afin d’aider les directeurs des corps de police à statuer sur les divulgations et les demandes d’autorisation qui leur sont soumises.

Ces directives s’adressent à l’ensemble des corps policiers du Québec.

Le législateur Québécois a prévu en 2017, un article de droit nouveau en édictant l’article 116.1 de la Loi sur la police qui vient maintenant compléter l’article 118 et qui concerne tout policier qui occupe un poste d’encadrement.2

116.1 Tout policier qui occupe un poste d’encadrement doit exercer exclusivement les devoirs de sa fonction. Il ne peut occuper une autre fonction, charge ou un autre emploi ou exercer des activités lui permettant de bénéficier d’un autre revenu provenant d’un bien ou d’une entreprise, à moins d’y être autorisé par le directeur du corps de police. Toutefois, il peut exercer des activités pédagogiques pour lesquelles il peut être rémunéré ou exercer des activités pour lesquelles il n’est pas rémunéré au sein d’organismes à but non lucratif.

Toute contravention aux dispositions du premier alinéa entraîne la suspension immédiate et sans traitement du policier concerné. Le policier doit régulariser sa situation dans un délai de six mois sous peine de destitution. 

Cette disposition ne s’applique pas aux policiers visés à l’article 3.0.7 de la Loi sur le ministère du Conseil exécutif (chapitre M-30).

D’ailleurs, l’article 118 LP existait déjà au moment de l’intégration de l’article 116.1, toutefois cet article vise tout policier et non seulement un policier qui occupe un poste d’encadrement.

L’article 118 LP se lit ainsi : Tout policier qui occupe une autre fonction, charge ou un autre emploi ou bénéficie d’un autre revenu provenant dun bien ou d’une entreprise doit, sans délai, en divulguer la nature à son directeur. Il doit également l’aviser de toute situation potentiellement incompatible dans laquelle il se trouve.
Tout policier doit remettre à son directeur chaque année, avant le 7er avril, un rapport faisant état, pour les 72 mois précédents, des situations qu’il lui a déclarées en vertu des dispositions du premier alinéa.

De sorte qu’une nuance importante existe maintenant entre un policier qui occupe un emploi régulier et un policier qui occupe un poste d’encadrement. En vertu de l’article 118 LP, un policier peut occuper un autre emploi ou bénéficier d’un autre revenu provenant d’une entreprise, mais il doit sans délai en divulguer la nature à son directeur et l’aviser de toute situation potentiellement incompatible dans laquelle il se trouve.

Un policier qui occupe un poste d’encadrement doit exercer exclusivement les devoirs de sa charge. S’il veut occuper une autre fonction, charge ou autre emploi, il doit être autorisé par le directeur du corps de police.

Quelques définitions 3

 « Policier qui occupe un poste d’encadrement » : policier non syndiqué qui exerce une fonction de direction, qui détient des pouvoirs décisionnels et dont les tâches sont principalement caractérisées par la gestion des ressources (humaines, matérielles, financières et informationnelles).

« Exercer des activités permettant de bénéficier d’un autre revenu » : poser des actions concrètes, accomplir un travail permettant à un policier qui occupe un poste d’encadrement de bénéficier de revenus provenant d’un bien ou d’une entreprise.

« Revenu provenant d’un bien » : revenu provenant d’un bien meuble ou immeuble et n’impliquant peu ou pas de travail de la part de celui qui en bénéficie considérant que c’est le rendement du capital investi qui génère des revenus. Les revenus de biens les plus courants sont les intérêts, les dividendes, les redevances et les revenus de location.

« Revenu d’entreprise »: revenu provenant d’une entreprise qu’un policier exploite, notamment à titre de propriétaire unique ou comme membre d’une société de personnes. Un revenu d’entreprise concerne généralement que celui qui en bénéficie consacre des efforts et une partie de son temps à l’exercice d’une activité. Les revenus d’entreprise ne comprennent pas les revenus provenant d’un emploi ou d’une charge.

L’obligation d’obtenir une autorisation ne s’applique pas à un policier qui occupe temporairement un poste d’encadrement. Le policier devient assujetti à cette obligation dès qu’il occupe un poste d’encadrement de façon permanente et qu’il n’est plus membre d’un syndicat de policiers.
Précisons qu’un policier détenant un poste d’encadrement est assujetti à l’obligation de divulgation prévue à l’article 118 LP, laquelle est applicable à tout policier, s’il souhaite exercer des activités pédagogiques pour lesquelles il peut être rémunéré ou des activités pour lesquelles il n’est pas rémunéré au sein d’organismes à but non lucratif.

Dans ces cas, les principes en matière d’incompatibilité et de conflits d’intérêts demeurent applicables. Ainsi, les activités précitées ne doivent pas être de nature à compromettre l’impartialité du policier ou à affecter défavorablement son jugement et sa loyauté. Elles ne doivent pas non plus être susceptibles de nuire à l’intérêt public ainsi qu’à la mission et à l’image du corps de police4.

À retenir que chaque corps de police doit prévoir :

Une procédure encadrant les demandes d’autorisation pour exercer un autre emploi, fonction ou charge pour un policier qui occupe un poste d’encadrement (art. 116.1 LP)

Une procédure encadrant la divulgation pour tout policier qui tire un autre revenu provenant d’un bien ou d’une entreprise dont il bénéficie ou d’autres situations potentiellement incompatibles dans laquelle il se trouve (art. 118 LP)

Un certain nombre de critères d’analyse des demandes qui doivent être faites par écrit doivent être prévus, notamment :

L’identification de l’employeur et la description des tâches liées à l’emploi sollicité, l’horaire de travail ou encore dans le cas de revenus provenant de biens meubles ou immeubles, la description du bien en question, son adresse de localisation et sa vocation et les noms de copropriétaires ou associés dans le cas de revenus d’entreprise.

Une fois ces informations connues, le directeur du corps de police devra analyser en considérant notamment l’horaire de travail et la nature des fonctions exercées, le risque d’être sollicité par l’autre fonction durant les heures de travail et les risques sur le rendement du policier, les risques de conflits d’intérêts, la compatibilité de l’autre fonction avec la charge du policier, le risque de nuire à l’image du corps de police.

Conséquences du non-respect

En omettant de demander une autorisation au directeur de police en vertu de l’article 116.1LP, le policier qui occupe un poste d’encadrement s’expose à une suspension immédiate et sans traitement et celui-ci disposera d’un délai de 6 mois afin de régulariser sa situation.

Notons également que pour tout autre policier qui contreviendrait à l’article 118 LP, l’article 310 de cette même loi prévoit une sanction pénale et une amende pouvant aller d’un montant de 250$ à 2500$.

Des sanctions disciplinaires pourraient aussi être appliquées en lien avec l’application du Code de déontologie policière ou du règlement de la discipline interne de son corps de police.

En cas de refus à votre demande pour double emploi, n’hésitez pas à consulter votre association syndicale afin de déterminer s’il y a matière à grief ou à d’autres recours judiciaires.

Texte : Me Jean-François Boucher
Source image : iStock Photos
1. Loi sur la police, L.O. 2000, c. 12
2. Id., art. 116.1
3. Lignes directrices concernant l’exclusivité de fonction des policiers détenant un poste d’encadrement et l’obligation de divulgation prévue à l’article 118 de la Loi sur la police.
4. Lignes directrices concernant l’exclusivité de fonction des policiers détenant un poste d’encadrement et l’obligation de divulgation prévue à l’article 118 de la Loi sur la police.
 Like

Qu’est-ce qu’une Commission d’enquête

La Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et les différents services publics au Québec (ci-après désignée la « CERP ») débutait, le 11 juin 2018, sa vingt-cinquième (25e) semaine d’audience. À titre de représentant de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (ci-après désignée « APPQ ») et des membres qu’elle représente, j’ai pu participer à la majorité des journées d’audiences, particulièrement à l’égard des témoignages pouvant avoir une incidence sur nos membres ou sur le domaine policier en général.

Rappelons que la CERP a été créée à la suite de la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales de ne porter aucune accusation dans le cadre de la Phase I des enquêtes découlant de ce qu’on appelle dorénavant les « événements de Val-d’Or »1. En date de la rédaction du présent article, 439 témoins ont été entendus aux audiences de la CERP.

Au-delà du caractère politique de la création de la CERP, le présent texte porte sur le cadre juridique général des commissions d’enquête créées en vertu de la Loi provinciale2.

I. - Qu'est-ce qu'une commission d'enquête?

Au Québec, la Loi sur les commissions d’enquête3 (ci-après la « LCE ») prévoit que le gouvernement peut nommer un ou plusieurs commissaires afin, notamment, de faire enquête sur quelque objet qui a trait au bon gouvernement, sur l’administration de la justice ou toute matière importante se rattachant au bien-être de la population4.

De manière sommaire, les commissions d’enquête visent, premièrement, la recherche de faits de la manière la plus transparente possible5 et deuxièmement, « l’élaboration de recommandations de nature politique visant à améliorer [ou corriger] une situation »6. Ces recommandations n’ont normalement pas de caractère contraignant7 d’où le scepticisme de certains sur l’utilité réelle de ces commissions d’enquête8.

Comme nous le verrons ci-après, cette enquête ou cette recherche de faits « doit se faire dans les limites du mandat que lui a confié le gouvernement et en respectant les règles de l’équité procédurale. »9

En effet, chaque commission d’enquête a un mandat précis à remplir. Elle tire d’ailleurs la compétence de ce mandat qui limite (ou plutôt encadre) les pouvoirs très étendus conférés au commissaire chargé de présider l’enquête.

Une commission d’enquête « ne constitue [donc] ni un procès pénal, ni une action civile pour l’appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l’égard de dommages. Il s’agit plutôt d’une enquête sur un point, un événement ou une série d’événements. »10

II. - Les pouvoirs d'une commission d'enquête

L’article 7 de la LCE prévoit que les commissaires détiennent « tous les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure ». Ainsi, sous réserve notamment des limites imposées par leur mandat respectif et de l’équité procédurale11, les pouvoirs conférés aux commissaires sont très larges.

Ces derniers peuvent donc décider de toute question relative à l’accomplissement de leur mandat. À titre d’exemple, un commissaire peut contraindre toute personne à témoigner s’il l’estime approprié.

À cet égard, en principe, nul ne peut refuser de témoigner au motif que sa réponse pourrait l’incriminer ou l’exposer à des poursuites12. Pourvu toutefois que le témoignage soit utile à l’accomplissement du mandat de la commission d’enquête.

III. - Les procédures

Les règles régissant le déroulement des travaux des commissions d’enquête sont généralement établies par des règles de procédure adoptées par les commissions d’enquête elles-mêmes.

Cette manière de procéder, qui n’est pas prévue à la LCE, permet que « la recherche de faits se fasse de façon ordonnée et que les droits de ceux visés par l’enquête soient respectés »13.

Les pouvoirs accordés aux commissaires par la LCE accordent à ceux-ci une « large discrétion dans l’élaboration de ces règles »14. Pourvu toutefois qu’elles respectent les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

Ces règles peuvent couvrir plusieurs sujets, à savoir :

  • La transmission préalable de documents aux parties;
  • Les règles relatives à la gestion des interrogatoires et/ou des objections;
  • Les moyens procéduraux relatifs à la présentation de demandes ou de requêtes;
  • Etc.

IV. - Les droits des parties et l'équité procédurale

Comme il est mentionné précédemment, l’exercice du mandat d’une commission d’enquête est limité par les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Dans le cadre de la Commission Charbonneau, l’honorable Claudine Roy, siégeant à la Cour supérieure mentionnait15 :

[18] Les commissions d’enquête doivent respecter les règles d’équité procédurale. Leurs rôles d’enquête et d’éducation ne doivent pas être remplis aux dépens du respect des droits de personnes risquant d’être affectées par celles-ci […].

Une commission d’enquête a également le devoir de respecter les droits fondamentaux des personnes pouvant être affectés par la preuve présentée devant elle. C’est ainsi que la Cour supérieure décidait que « Plus la « décision » – comprendre ici le « rapport » – est important[e] pour la vie de la personne et risque d’avoir des répercussions sérieuses, plus l’obligation d’équité procédurale est rigoureuse »16.

Chaque situation doit toutefois être analysée à la pièce, en gardant à l’esprit l’importance des commissions d’enquête dans la « recherche de la vérité ». Le pouvoir décisionnel discrétionnaire des commissaires demeure donc très étendu.

En vertu de ce pouvoir, le commissaire peut, à titre d’exemples :

  • Émettre des ordonnances de non-publication ou de huis clos;
  • Limiter ou encadrer un contre-interrogatoire;
  • Exiger tout document en possession de tiers qu’il considère comme pertinent dans l’exécution de son mandat;
  • Etc.

En résumé, il importe de mentionner que les commissions d’enquête obéissent à des règles très particulières et il est dangereux de les comparer aux tribunaux judiciaires. Par ailleurs, même si les pouvoirs des commissions d’enquête sont très larges, ils sont encadrés et limités par plusieurs principes et droits fondamentaux qu’elles doivent impérativement respecter.

En terminant, vous n’êtes pas sans savoir que la fonction policière est de plus en plus épiée et surtout critiquée par la société. Il est donc pratiquement inévitable que, dans les prochaines années, de nouvelles commissions d’enquête voient le jour sur différents sujets policiers. Les principes édictés précédemment n’étant que généraux, il sera intéressant d’analyser le traitement particulier de chacune d’entre elles.

Texte : Me David Coderre
Source image : shutterstock
1. La CERP a été mise sur pied le 21 décembre 2016 par le décret numéro 1095-2016. Les « événements de Val-d’Or font référence aux événements qui ont découlé du premier reportage de l’émission Enquêtes, diffusée le 22 octobre 2015 à Radio-Canada dans lequel plusieurs femmes autochtones alléguaient certains abus policiers de la part d’agents de la Sûreté du Québec. Les enquêtes qui ont suivi ont été menées par le SPVM, accompagné d’une observatrice civile indépendante. La phase II de ces enquêtes est toujours en cours.
2. RLRQ, chap. C-37.
3. Id.
4. lb, art.1.
5. Association des policiers provinciaux du Québec c. Poitras, 1997 CanLII 10813 (QC CA).
6. Dominic ROUSSEAU, Les commissions d’enquête : nature, mandat et limites constitutionnelles dans Conférence des juristes de l’État (13e: 1998 : Québec, Québec), Éd. Yvon Blais, Cowansville, Québec, p. 153.
7. Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 RCS 440, 1997 CanLII 323 (CSC).
8. Jean DAUDELIN, Le déroulement des commissions d’enquête, dans Actes de la XIIIe Conférence des juristes de l’État, Cowansville, Éd. Y. Blais, 1998, p. 195-220., p. 196
9. lb, p.200
10. Préc. note 6.
11. Point IV. du présent texte.
12. À cet égard, toutefois, l’article 11 de la LCE offre une protection aux témoins en prévoyant que « nulle réponse donnée par une personne ainsi entendue comme témoin ne peut être invoquée contre elle dans une poursuite en vertu d’une loi, sauf le cas de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. »
13. Jean DAUDELIN, Le déroulement des commissions d’enquête, préc. note 7, p. 210.
14. Id.
15. Beaulieu c. Charbonneau, 2013 QCCS 4629 (CanLII).
16. Ib., par. 26.
 Like