Poursuite civile: les agents de la paix sont-ils à l’abri?
- septembre 20, 2021
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Poursuite civile: les agents de la paix sont-ils à l’abri?
Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent suivant les circonstances, les usages ou la loi, afin de ne pas causer de préjudice à autrui. Lorsqu’elle manque à ce devoir, elle est responsable du préjudice qu’elle cause et est tenue de le réparer, qu’il soit corporel, moral ou matériel. Dans certaines circonstances, elle peut également être tenue de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne (1) .
L'action pour poursuite abusive
Abordons d’abord l’angle des procureurs de la Couronne. Auparavant, ces derniers, notamment, jouissaient d’une immunité absolue en matière de poursuites relativement aux décisions prises dans le cadre de leurs fonctions. Or, au terme de l’arrêt Nelles (2), la Cour suprême a affirmé qu’accorder une immunité absolue aux procureurs de la Couronne dans les circonstances, contrevenait au principe de justice fondamentale de l’égalité de tous devant la loi.
La Cour a alors statué que les procureurs de la Couronne jouissaient d’une immunité dite relative. Cette immunité permet donc d’assurer une certaine liberté et indépendance de pensée dans l’administration de la justice par les procureurs de la Couronne tout en offrant la possibilité aux accusés d’obtenir réparation en certaines circonstances. Puisque les procureurs de la Couronne jouissent seulement d’une immunité relative, il est possible que leur responsabilité soit recherchée en présence de la commission d’une faute lourde de leur part. La Cour suprême du Canada a donc, dans cette même affaire, établi quatre (4) critères à rencontrer afin de faire droit à une action pour poursuite abusive intentée par un accusé. 1. Le procureur de la Couronne visé par l’action doit être celui qui a intenté les poursuites criminelles contre l’accusé; 2. L’accusé doit avoir bénéficié d’un acquittement; 3.
Le procureur de la Couronne ne devait avoir aucun motif raisonnable et probable sur lequel fonder les accusations portées contre l’accusé; 4. La poursuite devait être motivée par un but illégitime. Ces critères ont plus tard été repris dans l’affaire Proulx (3) qui permet l’application de ces principes de common law au droit civil québécois. Une action pour poursuite abusive rend toutefois la tâche plutôt difficile pour le demandeur d’une telle action. En effet, ce dernier doit prouver un fait négatif, soit l’absence de motif raisonnable et probable (4), mais il devra également démontrer une faute intentionnelle, une intention malveillante, afin d’éviter l’avortement de son action.
La responsabilité des agents de la paix dans le cadre d'une action pour poursuite abusive
Les agents de la paix, dans l’exercice de leurs fonctions, sont d’importants acteurs du système de justice pénale. Les agents de la paix doivent en tout temps se comporter de façon à préserver la confiance et la considération requises par leur fonction. Ils doivent également se comporter avec impartialité et désintéressement. Au surplus, les agents de la paix doivent éviter toute forme d’abus d’autorité dans leurs relations avec le public (5).
Étant appelés à intervenir auprès des membres du système judiciaire, les agents de la paix doivent collaborer à la bonne administration de la justice et ne doivent en aucune circonstance cacher ou retenir des éléments de preuve ou un renseignement dans le but de favoriser ou de nuire à une personne. Il est également prohibé aux agents de la paix, dans l’exercice de leurs fonctions, de présenter à l’égard d’une personne une recommandation ou un rapport tout en sachant celui-ci faux ou inexact (6). Chaque enquête policière doit être menée de façon sérieuse. Les agents de la paix doivent dans le cadre de chacune d’entre elles, considérer toute l’information étant à leur disposition.
Afin de pouvoir recommander que des procédures judiciaires soient intentées à l’encontre d’un suspect, les agents de la paix doivent avoir plus que de simples soupçons. En effet, ces derniers doivent avoir des motifs subjectivement raisonnables et probables de croire que l’individu visé par l’enquête a bel et bien commis une infraction (7). Tout policier qui contreviendrait aux normes de conduites édictées par la loi s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller de la suspension au congédiement (8).
Au surplus, contrairement aux procureurs de la Couronne, les agents de la paix ne bénéficient pas de l’immunité en matière de poursuite. À cet égard, un policier qui, par exemple, omettrait délibérément de transmettre une information permettant de disculper un accusé commettrait alors une faute permettant d’engager sa responsabilité civile (9). Dans ces circonstances, ce policier devrait réparer le préjudice qu’il aurait causé. En effet, le régime de responsabilité applicable aux agents de la paix est celui de la responsabilité civile extracontractuelle prévue par le Code civil du Québec.
À l’inverse des actions intentées contre un procureur de la Couronne, il ne sera pas nécessaire pour l’accusé de démontrer la commission d’une faute lourde ou d’une négligence grossière lorsque la poursuite vise les agissements d’un policier. Dans ces cas, l’accusé n’aura qu’à démontrer notamment la commission d’une simple faute afin d’engager la responsabilité civile du policier en question.
Toutefois, par l’application de l’article 1463 du Code civil du Québec, l’employeur du policier visé par l’action en justice, quel que soit le corps de police au sein duquel il exerce ses fonctions, pourrait, à titre de commettant, être tenu de réparer le préjudice causé par la faute de son préposé (le policier).
L’accusé victime d’une injustice par la mise en place d’une poursuite abusive de la part d’un procureur de la Couronne ou encore découlant d’une enquête policière bâclée ne demeure pas sans recours afin d’obtenir la réparation du préjudice qu’il pourrait avoir subi. Cependant, un accusé qui désire intenter une action civile s’expose à une tâche relativement complexe quant à une poursuite visant un procureur de la Couronne suivant les enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Nelles et Proulx.
En effet, l’accusé peut facilement se voir refuser son action s’il ne satisfait pas les critères imposés par ces arrêts. Par ailleurs, en ce qui a trait à une action intentée contre des agents de la paix le fardeau de preuve est moindre que celui établi par la Cour suprême dans les arrêts susmentionnés. En effet, le régime applicable est celui du Code civil du Québec. Toutefois, l’accusé devra tout de même démontrer qu’il a subi un préjudice découlant d’une faute qui aurait été commise par un agent de la paix.