Pour bien situer le contexte, précisons que Mme Fortier, élue présidente de la Fraternité le 15 octobre 2020, est entrée en fonction le 1er novembre 2020. Quelques jours après son élection, Mme Fortier avait fait une sortie médiatique dénonçant les ratées de deux nouveaux systèmes, soit celui de radiocommunication ainsi que celui de répartition des appels; systèmes nouvellement acquis par la Ville de Québec.
Par la suite, la Ville de Québec avait reproché à la présidente Fortier d’avoir fait une déclaration à des journalistes par laquelle elle aurait communiqué des informations confidentielles, mais à l’audience sur l’ordonnance de sauvegarde, l’avocat de la Ville reconnaissait que les informations alors partagées par la présidente Fortier n’étaient pas de nature tactique, opérationnelle ou stratégique pour le Service de police.
Enfin, le 31 mai 2021, la Fraternité, par l’entremise de sa présidente, avait écrit à deux conseillers municipaux afin d’aborder le contexte d’une intervention policière qui s’était déroulée le 28 mai précédent et au cours de laquelle des débordements de foule étaient survenus. La Fraternité voulait dénoncer l’effectif policier insuffisant malgré une demande pour augmenter la présence policière ce soir-là.
La lettre faisait état de la diminution du nombre de véhicules de patrouille découlant de la réorganisation du Service de police ayant eu pour effet de réduire la couverture policière du territoire. Elle exposait les craintes des membres de la Fraternité relativement à leur sécurité.
Copie de cette lettre avait également été transmise au maire ainsi qu’au directeur général de la Ville et publiée sur la page Facebook des membres de la Fraternité.
Le 4 juin, la Ville de Québec réagissait en déposant les demandes d’injonction ci-haut mentionnées contre la Fraternité et sa présidente, alléguant que les informations transmises au cours des trois événements précédents constituaient des informations de nature opérationnelle, tactique et stratégique en lien avec les opérations de patrouille policière en général, notamment pour avoir divulgué des données sensibles concernant l’intervention policière du 28 mai précédent.
Dans un premier temps, la Ville, alléguant l’urgence, recherchait donc une ordonnance de sauvegarde, de sorte que la procédure, signifiée le vendredi 4 juin, ait été présentable le lundi suivant en Cour supérieure.
La Fraternité et sa présidente se sont donc présentés à la Cour le 7 juin et ont fortement contesté le caractère d’urgence à l’origine de la demande d’une ordonnance de sauvegarde. Cette contestation a été accueillie par jugement le 14 juin 2021, la Cour refusant d’émettre l’ordonnance de sauvegarde recherchée.
Le débat a amené la Fraternité des policiers et policières de Montréal inc., la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec et l’Union des municipalités du Québec à intervenir au dossier alors que la Ville de Montréal souhaitait également participer à ce débat.
Passant outre au débat sur l’injonction interlocutoire, les parties ont procédé directement sur la demande pour l’obtention d’une injonction permanente.
À cette étape, la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec et sa présidente, Mme Fortier, ont déposé une requête plaidant que tant la législation applicable en droit du travail que la convention collective qui régit les parties et la jurisprudence sont à l’effet que l’arbitre des relations de travail a la compétence exclusive pour décider de la demande de la Ville et non la Cour supérieure.
Le 18 mars 2022, la Cour supérieure accueillait le moyen soulevé par la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec et de sa présidente et déclinait compétence pour prononcer une ordonnance d’injonction permanente.
Parallèlement à sa procédure déposée en Cour supérieure, la Ville, le 30 juin 2021, transmettait à la présidente Fortier un avis qu’une enquête interne de nature disciplinaire était en cours en lien avec l’écrit du 31 mai précédent.
Réagissant à cet avis d’enquête visant directement la présidente Martine Fortier, celle-ci déposa une plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail auprès du Tribunal administratif du travail.
Pour la Fraternité et sa présidente Fortier, il s’agissait d’une mesure de représailles pour laquelle on recherchait l’annulation. Après plusieurs jours d’audition, la cause a été prise en délibéré.
Par ailleurs, en réaction au jugement de la Cour supérieure qui déclinait compétence, tel que l’avait plaidé la Fraternité, la Ville, le 20 mai 2022, déposait un grief patronal contre la Fraternité et également contre sa présidente, Martine Fortier.
Dans les conclusions recherchées, la Ville demandait qu’il soit déclaré que par les gestes reprochés, la Fraternité et sa présidente avaient contrevenu, entre autres, au Règlement sur la discipline des membres du Service de police de la Ville de Québec.
La Ville demandait également que soit ordonné « à la Fraternité, à ses représentants et à Mme Fortier, de ne pas divulguer, verbalement ou par écrit, à quelque personne que ce soit, sauf si elles y sont autorisées par écrit par le chef de police, des informations de nature tactique, opérationnelle et/ou stratégique du Service de police de la Ville de Québec ».
Le 9 juin 2022, le Tribunal administratif du travail accueillait la plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail, déposée par la présidente, Martine Fortier.
Réitérant le droit syndical à la liberté d’expression, le Tribunal a conclu que ce droit « ne peut être amoindri par l’obligation de confidentialité et le devoir de discrétion auquel sont assujettis les policiers dans l’exercice de leurs fonctions. En cela, la présidente de la Fraternité ne peut être traitée de la même manière que le serait une policière dans l’exercice de ses fonctions. »
Rappelant que la liberté d’expression n’est pas sans limite, et que la jurisprudence ne cautionne pas les excès, le Tribunal, dans le contexte de la présente affaire, a constaté que c’est en raison de ses activités syndicales que la Ville a remis un avis d’enquête disciplinaire à la présidente Fortier et qu’il s’agissait donc d’une mesure de représailles contraire à l’article 15 du Code. Le Tribunal a donc annulé l’avis d’enquête de nature disciplinaire du 30 juin 2021.
Le 11 juillet 2022, la Ville de Québec déposait une demande en contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal administratif du travail. Le débat se poursuit.